L'AMAP d'Yeu existe, Le Malotru l'a rencontrée !
- Le 04/12/2015
- Dans Agriculture / Pêche
Poisson d’avril en novembre au Pays Malouin
De notre envoyé spécial en Vendée
Le Pays Malouin a mis à la une de son édition du 5 novembre « ces bons plans de la pêche ». Alléchés par la titraille en couleurs, beaucoup de lecteurs se seront sans doute précipités pour profiter de tuyaux... un peu percés. Rien de vraiment nouveau sous le soleil malouin. Qui ne connaît déjà les adresses fournies, respectables, certes, mais bien peu innovantes et non exceptionnelles en matière de prix ou d’offre diversifiée ? Et que penser du bref entretien avec Pascal Leclerc, le président du comité local des pêches ? Certes, on y apprend que « la vente au cul du bateau est encore possible », mais à condition d’en prendre des quantités notables (20 kg minimum d’huîtres, par exemple) et de s’assurer –responsabilité oblige- que « le sac soit préalablement pesé et facturé dans les règles »... Bon plan, vraiment ?
Le Malotru, toujours désireux de surprendre et d’informer ses lecteurs et lectrice, a tenté d’explorer des chemins moins connus, annonciateurs -peut-être- d’alternatives crédibles au tout-marché. En Bretagne, à Saint-Malo tout particulièrement, l’association Attac a largement contribué à promouvoir la pratique des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) et à les faire exister concrètement. L’entretien publié par Le Malotru- avec Michel Chabuel à l’occasion des 50 ans de ces AMAP en a montré la vitalité et l’intérêt, notamment dans la perspective des objectifs de la COP 21.
Eh bien, le croiriez-vous ? Une telle formule existe aussi pour...le poisson. Le Malotru l’a pêchée en dehors de sa zone habituelle de chalutage, mais si cela pouvait donner des idées sur la Côte d’Emeraude, on ne regretterait pas le voyage. Ni le scoop, un vrai cette fois, promis.
La crise pousse parfois à l’imagination...
C’est à l’occasion d’un déplacement en dehors de son île en 2009 que M. le Maire de l’Ile d’Yeu découvre le fonctionnement des AMAP légumes et qu’il a l’idée saugrenue de le transposer à son domaine insulaire de la pêche Les pêcheurs de l'île d'Yeu sont alors inquiets de l'effondrement du nombre de bateaux et des menaces pour la survie de leur criée. L'interdiction des filets maillants dérivants a eu un fort impact sur l'activité traditionnelle de pêche au thon et, en 2010, l'interdiction de la pêche au requin taupe a touché 5 bateaux hauturiers. . L'île compte aujourd'hui 43 bateaux, soit 150 à 200 emplois de marins pêcheurs. La moitié de l'effectif, il y a dix ans.
Une étape décisive est franchie avec la visite à Yeu de M et Mme Vuillon, fondateurs de la première AMAP en France (2001, dans le Gard). Dès le printemps 2010, une première initiative permet de jeter les bases de l’aventure : quatre bateaux livrent de quoi alimenter trois lieux de distribution répartis dans l’agglomération nantaise, soit près de 450 caissettes de 3 kg environ de poissons pour 200 amapiens. Dans le respect de « l’esprit AMAP », des rencontres producteurs/consomm’acteurs se développent en toute convivialité sur le continent ou sur l’île. On n’oublie pas les modalités techniques et sanitaires à respecter en matière de distribution d’un produit bien spécifique, soumis à la chaîne du froid. Les échanges avec la DDPP (Direction Départementale de la Protection des populations) s’avèrent fructueux. Une Charte AMAP Poissons est signée fin 2010 par cinq patrons-pêcheurs volontaires. On y affirme des principes qui traduisent les valeurs propres aux AMAP : promouvoir une pêche respectueuse des hommes et de l’environnement, répondre à une demande des amapiens en matière d’approvisionnement « différent » et de relation sociale authentique au sein de la transaction, les amapiens affirmant leur volonté d’un juste prix pour la ressource et l’activité des hommes du métier. Pas tout à fait la concurrence libre et non faussée, ni le dumping social et salarial, ni les transports écologiquement douteux mis en œuvre derrière les « prix écrasés » vantés par certaines grandes surfaces.
200 familles impliquées en 2010, 1800 familles en 2015
Concrètement, les bateaux en relation avec l’AMAP débarquent leurs prises à la criée de l’Ile d’Yeu où le mareyeur Yeu Marée (coopérative) achète au sein des enchères locales –c’est la règle- les lots destinés aux amapiens. La coopérative des pêcheurs de Yeu détermine ensuite la composition des colis qu’ils conditionnent en caisses réfrigérées. La compagnie Yeu-Continent les achemine par bateau et deux camions frigorifiques assurent la suite du parcours jusqu’aux lieux de distribution. Les pêcheurs concernés, organisés en G.I.E (Groupement d’Intérêt Economique) salarient les deux chauffeurs, eux-mêmes anciens marins. Chaque AMAP signe un contrat avec un seul pêcheur mais le G.I.E organise, de fait, une mutualisation assurant continuité de la fourniture et diversité des espèces pour chaque panier (selon la saison ou la pêche du jour, sole, plie, dorade, rouget etc., voire thon ou lotte, entier ou en filets).
C’est dire si l’affaire a atteint une crédibilité à laquelle bien peu croyaient au lancement de l’initiative : Aujourd’hui un calendrier précis de distribution permet d’assurer une livraison mensuelle dans...seize lieux dont certains sont eux-mêmes « doublés » de lieux secondaires (correspondant à un arrêt intermédiaire du camion). Chaque lieu dessert une ou plusieurs AMAP. Il convient d’ajouter maintenant deux autres lieux en Maine-et-Loire. Soit, en 2014-2015, 18 lieux de distribution principaux et...1800 familles impliquées.
Le coût de chaque colis est de 33 euros, soit 11 euros le Kg, à comparer au prix marché ou mareyeur pour des qualités comparables... L’engagement AMAP qui garantit une relative stabilité de trésorerie aux pêcheurs concernés porte sur dix paniers de septembre à juin. Les « consommateurs », ils préfèrent s’appeler « mangeurs de poisson », ne tarissent pas sur les bienfaits de cette douce habitude où la découverte du panier-poissons conduit à échanger recettes et assaisonnements...
Une économie au service de l’humain
La création de tels dispositifs économiques constitue d’abord une aventure humaine. L'appui aux pêcheurs artisans par une AMAP constitue un engagement contraignant que seule la qualité des relations établies avec les pêcheurs permet de pérenniser. C’est l’occasion pour beaucoup d’ « urbains » continentaux de découvrir un lieu de vie insulaire exceptionnel, un métier méconnu, et des hommes soucieux de leur indépendance mais aussi de solidarité. Sans oublier qu’un emploi en mer induit trois emplois à terre. Information précieuse pour un territoire fragile comme l’Ile d’Yeu où les prises destinées aux AMAP représentent l’équivalent de celles d’un très « gros » bateau de l’île, soit près de 65 tonnes pour l’année en cours. C’est une contribution notable au maintien de l’activité de pêche dans ce joyau de l’Atlantique. L’ile d’Yeu ne souhaite pas vivre du seul tourisme, même respectueux et responsable, bien différent de celui pratiqué chez sa voisine, l’Ile de Ré. Mais chût, nous allons réveiller de mauvais démons...