Les AMAP : 50 ans d’avance sur la COP21
- Le 04/12/2015
- Dans Agriculture / Pêche
1965 – 2015 : Bon anniversaire aux AMAP en cette année de la conférence mondiale sur le climat.
Voilà 50 ans que cette idée, née de la nécessité de résoudre un problème global de pollution, impulse des initiatives locales avec pour objectif d’instaurer une agriculture paysanne et biologique respectueuse de l’homme, l’animal et l’environnement dans le cadre d’un système économique solidaire et équitable.
L’idée naquit au Japon, en 1965, au lendemain de la catastrophe de Minamata, évènement emblématique des méfaits d’une politique industrielle irresponsable. Cette petite ville fut le siège d'une catastrophe écologique due à une pollution au mercure causée par les rejets en mer d’une usine pétrochimique du groupe Chisso. La contamination des poissons, base de l’alimentation de cette population de pêcheurs, eut pour conséquence l’apparition d’une maladie neurologique qu'on désigne alors sous le nom de maladie de Minamata. Depuis le début officiel de la maladie (mai 1956) on évalue à près de 40 000 le nombre de malades et celui des décès à environ 2200.
L’objectif de la COP21 est d’aboutir à un nouvel accord sur le climat, applicable à tous les pays, pour maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà de 2°C. En cette fin d’année 2015, le bilan que l’on peut tirer de 50 ans de développement de la mondialisation et de productivisme à outrance est plus qu’inquiétant. Il s’agit maintenant de poser collectivement des questions mêlant éthique, politique et écologie. Comment assurer la permanence d’une vie humaine sur terre ? Comment faire vivre la liberté, la justice la solidarité ? En effet, la justice climatique est bien au centre des débats. Bien loin de se limiter à la mise en place d’une économie de subsistance circonscrite dans le temps, le modèle économique des AMAP peut être questionné tant sur le principe de sa création que sur son mode de fonctionnement afin de déterminer s’il constitue un ensemble de réponses possibles à ces questions, en se basant à la fois sur le projet de société qu’elles promeuvent et sur des réalisations locales qui sont à même de permettre d’évaluer l’efficacité des solutions mises en oeuvre.
Le Malotru a questionné Michel Chabuel sur le modèle des AMAP face à ces défis.
- L’engagement citoyen.
Le Malotru : Ce système permet-il de déclencher la prise de conscience dans la population ?
M. Chabuel : « Historiquement, l’origine des AMAP se fonde sur un engagement citoyen et sur une démarche à la fois individuelle et collective associant consommateurs et producteurs. Des mères de familles japonaises, voyant le scandale de l’empoisonnement au mercure à Minamata, et inquiètes des effets des produits chimiques dans l’alimentation, fondent les premiers teikei (en japonais « coopération ou collaboration » ou, plus joliment « mettre un visage sur les légumes »). Le principe de fonctionnement est le suivant : en échange de l’achat par souscription de la récolte du paysan, ce dernier s’engage à fournir des aliments cultivés sans produits chimiques (engrais ou pesticides).
Ce modèle s’est ensuite diffusé dans les années 80 : des fermes collectives se sont créées en Allemagne et en Suisse, avec un système de distribution directe à la ferme. En 1985, il s’est implanté aux USA et au Canada sous le nom de CSA "Community Supported Agriculture".
En 2001, suite à un voyage aux Etats-Unis durant lequel ils découvrirent les CSA, Monsieur et Madame Vuillon, agriculteurs en périphérie de Toulon, voyant leurs ventes péricliter, décidèrent de réagir. Á leur retour, ils lancèrent la première AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne) en France en collaboration avec ATTAC lors d'une journée sur la « malbouffe »
Dans la région, la prise de conscience s’est opérée à la fois au niveau des producteurs et des consommateurs. Ainsi, à Saint Malo, les 2 premières AMAP ont été créées par des consommateurs, alors que la 3ème à Combourg a été créée à l’initiative d’un producteur.
S’agissant des producteurs, ce sont des gens qui sont capable d’évolution et de changer de modèle de production : soit ils évoluent, soit ils disparaissent. Du côté des consommateurs, on a fait le choix d’une alimentation en accord avec le rythme de la nature, sans chercher à manger des fraises en décembre.
L.M. : Tu veux parler de l’empreinte carbone ?
M.C. : Exactement. Quand on décide de consommer local, on diminue mécaniquement les émissions de gaz à effet de serre. Un bon exemple est celui de Combourg, mais on pourrait en prendre d’autres. Il y a actuellement 3 AMAP dans la région, ce qui représente environ 150 foyers qui ont décidé de relocaliser l’origine des produits destinés à l’alimentation. Ce n’est pas négligeable quand on connaît les distances énormes parcourues par nombre de légumes et de fruits vendus par la grande distribution, dont les exigences, par ailleurs, conduisent à surdimensionner la production, donc la consommation d’énergie. En outre, on ne gaspille pas le produit. Il faut savoir qu’avec les grandes surfaces, lors de leurs achats groupés, 60% de la production peut rester sur le terrain, parce que ne répondant pas à leurs critères d’aspect, de forme de taille ou de couleur. Un membre d’une AMAP se moque de la couleur ou de la forme du fruit ou du légume à partir du moment où il a la garantie que le produit est cultivé d’une manière naturelle, et sur le plan gustatif, il n’y a pas photo.
- Le modèle économique
L.M. : Actuellement, notre modèle agricole industriel privilégie le productivisme. Encouragé et soutenu depuis des décennies par des politiques agricoles nationale et européenne, son bilan économique nous interroge fortement quand on voit les éleveurs désespérés par les effets de la loi du marché, manifester pour obtenir de ne plus vendre leurs denrées à un prix inférieur à leur prix de revient. Son bilan social est inquiétant, la population active agricole ayant été divisée par deux en 20 ans. Le suicide est la troisième cause de mortalité chez les agriculteurs, après les cancers et les maladies cardiovasculaires, et le nombre ne cesse d’augmenter. Sur le plan écologique, l’agriculture européenne se situe au quatrième rang des principales activités émettrices des gaz à effet de serre avec un volume de 10%, derrière, certes, la production d’électricité 26%, les transports 20%, le secteur résidentiel et tertiaire (bureaux, surface commerciales 14% ; mais si l’on se réfère au système alimentaire industriel dans sa totalité, on calcule qu’il est responsable de 57% des émissions de gaz à effet de serre. Quelles conclusions les AMAP tirent-elles de ce constat ?
M.C. : Les résultats désastreux de ce modèle sur le plan écologique (comme sur le plan humain) sont la conséquence des choix économiques du libéralisme dont le principe unique et indiscuté est la concurrence libre et non faussée. La charte des AMAP définit des critères sociaux et des critères environnementaux qui engagent l’agriculture dans une autre voie.
La logique du modèle actuel a un effet mécanique sur le changement climatique. Quand on s’engage dans une production de masse, on pratique la monoculture pour garantir des prix à l’exportation, donc on agrandit la taille des exploitations. On industrialise et on mécanise au maximum grâce à une utilisation immodérée des énergies fossiles. On accroît la taille des élevages. Les vaches françaises émettent autant de gaz à effet de serre que quinze millions de voitures. Le méthane issu de leurs déjections est un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. L’autorisation donnée aux fermes industrielles du type « Ferme des mille vaches » est un non-sens économique et écologique.
La finalité c’est de parvenir à un revenu garanti pour le producteur, pas de produire plus pour gagner plus. Les AMAP de la région malouine en sont un bon exemple : orientées essentiellement vers la production maraîchère, le fromage de vache ou de brebis, on est passé chez les producteurs de la culture de 2 ou 3 produits à 150 produits, et ce pour répondre à la demande des consommateurs. Les exploitations sont passées d’une surface de 12 à 13 hectares à 2 ou 3 hectares pour un même type de production. De ce fait, la mécanisation est minimale et économe en énergie fossile. Il y même des régions où certains sont revenus à la traction animale. J’ai rencontré quelqu’un qui fait de l’élevage de chevaux et qui les fait travailler chez des producteurs. Les AMAP combinent à la fois la viabilité économique le souci de vivre en accord avec les équilibres de la nature dans sa globalité. Un bon exemple est celui de l’exploitation tenue par la famille Vuillon que j’ai citée tout à l’heure et qui emploie maintenant 10 salariés, tout en restant dans le cadre des AMAP.
L.M. : Comment peut-on passer de ce système gourmand en énergie et générateur de gaspillage alimentaire à un système économe de type AMAP ?
M.C. : Il faut être clair : avec le système AMAP, on sort de la loi du marché. Les productions agricoles ne sont pas des enjeux de spéculation. On ne se préoccupe pas de savoir combien coûte la tomate aujourd’hui. La base du contrat c’est le principe de la production locale diversifiée, préachetée par un groupe de consommateurs, et qui ensuite est divisée par le nombre de membres. Si on produit plus, il y en a plus dans le panier, si on produit moins, il y en a moins. Mais le prix est fixe. Pour démarrer, le paysan calcule quelles sont les charges (locaux, matériel, achat de semences), et à combien il estime sa rémunération. Puis il évalue le nombre de paniers qu’il peut fournir (pour en vivre complètement, il faut produire environ 70 paniers en maraichage). Il divise le total par 52 semaines (moins ses congés) et par le nombre de paniers, ce qui lui donne le prix du panier.
Les économies d’échelle ne concernent pas seulement la production et la distribution. Cela concerne aussi la production des semences. Dans le système actuel, les agriculteurs sont soumis aux géants de l’agrochimie qui leur imposent leurs semences et leurs procédés de culture. Chez les paysans des AMAP, elles sont issues du produit, les tomates sont issues de graines de tomates alors que les semences utilisées en agriculture intensive sont des hybrides résultant de manipulations génétiques coûteuses en laboratoire, qui donnent des produits d’une faible qualité nutritionnelle, de 4 à 5 fois moins riches que ceux de l’agriculture paysanne. A des fins de marketing (pour suivre la « mode ») les variétés anciennes sont récupérées par l’agriculture intensive, mais elles proviennent de semences hybrides et sont nettement moins goûtées.
- La COP 21 : un conflit de logique
L.M. : Parmi les difficultés rencontrées dans la préparation de la COP 21, on voit bien que les États veulent renoncer à décider de dispositions contraignantes pour mettre fin au réchauffement climatique, car toute limitation imposée au marché dans ce domaine est considérée comme une entrave à la concurrence. De fait, les deux processus libéralisation du commerce et changement climatique convergent de manière explicite, et la financiarisation du marché du carbone n’arrange rien. Que disent les « Amapiens » sur ce sujet ?
M.C. : C’est un choix de société. On se souvient des crises sociales graves provoquées par la pénurie de denrées alimentaires de base du fait de la spéculation. Dans la Charte des AMAP, nous établissons le cadre d’un engagement éthique pour l’avenir de la planète tout en garantissant la viabilité des exploitations. L’enjeu c’est l’autosuffisance alimentaire et le moyen l’entraide tant entre producteurs qu’entre producteurs et consommateurs. Nous nous situons très clairement dans un modèle alternatif, très lié avec les groupements de producteurs bio et des structures qui sont destinées à aider les producteurs à se réorienter. On sort de la logique concurrentielle qui met en présence des forces puissantes qui ont un poids économique au plan mondial. Face au ralentissement de la croissance, à la crise des systèmes énergétiques, à l’épuisement des ressources naturelles et à la crise financière, les vieux pays industriels ont multiplié les accords bilatéraux qui détruisent les agricultures des pays en développement en supprimant les protections douanières et réglementaires qui assuraient la viabilité d’une agriculture locale. Nous, nous sommes sur une logique d’aide et d’accompagnement à l’installation pour permettre la relocalisation des productions et des circuits. Il y a beaucoup de choses à apprendre dans le domaine des techniques de culture et d’élevage, mais en même temps c’est le prix à payer pour parvenir à se dégager de l’emprise des lobbies de l’agriculture productiviste.
Lorsqu’un producteur s’engage dans un projet AMAP, il peut bénéficier de l’aide de paysans déjà installés, et intégrer progressivement le dispositif. Mais cela fonctionne aussi dans l’autre sens : des consomm’acteurs peuvent aider à l’installation d’un nouveau producteur et engagent des démarches pour trouver un volontaire. Respecter l’humain, l’animal et la terre : c’est en cela que les AMAP sont une des solutions pour répondre à ce double défi, climatique et économique. »