Eugénisme ou résistance
- Le 29/04/2016
- Dans Démocratie
L’hommage à Marguerite Beaumatin, Marion l’a chanté avec émotion et talent ce samedi 9 avril 2016, en présence de nombreux membres de sa famille, de représentants de diverses organisations et de dinardaises et dinardais soucieux de préserver sa mémoire. En présence également d’une adjointe à la mairie qui a fait un discours de circonstance. L’occasion de signifier à nos élu-e-s que toutes les résistances ne sont pas forcément à l’image de celle qui a guidé Marguerite tout au long de sa courte existence.
Comment ne pas s’indigner en effet qu’en l’état actuel des choses rien dans la ville -hormis sa tombe- ne rappelle la vie exemplaire de cette dinardaise d’adoption qui a payé de près de 10 mois d’internement son combat contre l’occupant nazi, combat qu’elle poursuivit jusqu’à la fin, épuisée par les souffrances et les privations.
Car à Dinard, la municipalité semble résister, mais pas dans le même sens. On continue en effet de voir s’afficher une rue Alexis Carel, malgré des demandes réitérées pour la débaptiser. Cet eugéniste notoire, auteur d’un manifeste paru en 1935, L’Homme, cet inconnu, prône la solution eugéniste des problèmes sociaux et recommande « la création d’un établissement euthanasique pourvu de gaz appropriés » en vue d’éliminer certaines catégories de délinquants et suggère l’application du « même traitement » aux « fous qui ont commis des actes criminels ». Militant du Parti Populaire Français, parti fasciste créé en 1936 par Jacques Doriot, il fut nommé en 1941 par Pétain à la direction de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains chargée de « l’étude, sous tous ses aspects, des mesures les plus propres à sauvegarder, améliorer et développer la population française dans toutes ses activités »…
Lorsque qu’à l’automne 1992 parut le livre de Lucien Bonnafé et Patrick Tort « L’homme cet inconnu ? » celui-ci connut un succès tel qu’il permit, en instruisant l’action des associations locales auprès des municipalités, de faire débaptiser en France l’essentiel de ce qui (rues et établissements publics) portait le nom du médecin lyonnais émigré aux Etats-Unis et revenu dans son pays natal pour y prêter main-forte au maréchal Pétain. Lucien Bonnafé, psychiatre connu comme l’un des créateurs de la psychiatrie de secteur en France, mais également comme ancien animateur de la Résistance en zone sud, a ainsi mis un coup d’arrêt à ce qui apparaissait comme une tendance subreptice de certains ouvrages de l’époque à taire -voire réhabiliter- les errements de cet ancien prix Nobel de médecine (1912) qui, dans son ouvrage, appelle notamment à « supprimer les classes sociales et les remplacer par des classes biologiques…»
Seulement, voilà. Les municipalités successives de Dinard semblent faire peu de cas de ces débats sur les valeurs républicaines qui agitent le monde extérieur. Obstinément, malgré des demandes réitérées, elles tournent le dos, se bouchent les oreilles, ferment les yeux, prétextant la difficulté d’une telle démarche, ou, qui sait, peu soucieuses de s’attirer les critiques de certains de leurs soutiens. Pourtant, à en juger par ce qui se passe ailleurs, et pas forcément dans un sens favorable à la conception de la république chère au Malotru, cela ne semble pas excéder les forces d’un édile convaincu.
Alors, pour aider un peu à la reconnaissance de ce que l’on doit à cette grande dame que fut Marguerite Beaumatin, Le Malotru a fouillé dans ses cartons pour remettre en lumière certaines réalités.
En France, l’obligation de donner un nom de rue et des numéros aux habitations est fixée par des dispositions règlementaires. En vertu de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales il s’agit entre autre, d’un point de vue historique, de rendre hommage à des personnalités, lieux ou dates.
Réponse du Ministère chargé des collectivités territoriales publiée dans le JO Sénat du 13/01/2011 - page 70 à la question écrite n° 15401 de M. Jean Louis Masson (Moselle - NI) publiée dans le JO Sénat du 07/10/2010 - page 2582 sur la dénomination des rues et espaces publics.
La dénomination des voies et édifices publics relève de la compétence du conseil municipal en vertu de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales (CE, 2 février 1991, commune de Montgeron, req. n° 84929 ; CAA Bordeaux, 30 avril 2002, Farrugia, req. n° 99BX02592). La compétence du conseil municipal dans ce domaine fait l'objet d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation par le juge administratif. La dénomination attribuée à une voie ou un édifice public doit être conforme à l'intérêt public local. À ce titre, l'attribution d'un nom à un espace public ne doit être ni de nature à provoquer des troubles à l'ordre public, ni à heurter la sensibilité des personnes, ni à porter atteinte à l'image de la ville ou du quartier concerné (CAA Marseille, 12 novembre 2007, Ville de Nice, req. n° 06MA01409). La dénomination d'un espace public doit également respecter le principe de neutralité du service public… Au regard de la jurisprudence, l'état actuel du droit apparaît suffisamment équilibré pour concilier les principes de libre administration des collectivités territoriales et de neutralité du service public. Aucune modification législative n'est donc envisagée sur ce point.
Dans la réponse à une question d’un député, publiée au Journal Officiel le 09 03 2010 page 2765, le ministère de l’Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales précise : En tout état de cause, l'attribution d'un nom à une rue ou une modification de nom par le conseil municipal doit être motivée, comme toute décision, par la poursuite de l'intérêt public local (cour administrative d'appel de Bordeaux, 30 avril 2002, Farruggia)… Enfin, toute dénomination doit respecter les principes de neutralité et d'égalité des citoyens issus de l'article ter de la Constitution (cour administrative d'appel de Nantes, 4 février 1999, n° 98NT00207).
Au vu de la situation actuelle, doit-on en conclure, madame Le Maire :
Que Marguerite n’est pas digne d’un hommage de la ville de Dinard pour son courage, son dévouement et pour avoir payé de sa vie son engagement contre la barbarie ?
Que le fait de donner à une rue le nom d’un militant d’extrême droite adoubé par Pétain respecte le principe de neutralité républicaine? Que cela est conforme à l’intérêt public local ? Que cela ne porte pas atteinte à l’image de la ville ? Que cela ne heurte pas la sensibilité des personnes ?
Qu’en matière d’égalité des citoyens face à l’histoire, qu’elle soit d’ailleurs locale ou nationale, on préfère honorer la mémoire d’un dignitaire du gouvernement de Vichy plutôt qu’une héroïne de la résistance ?