La fête est finie …
- Le 02/06/2020
- Dans Démocratie
Un déconfinement qui coûte cher : réflexions sur la frontière entre règles de précaution et règles sécuritaires.
«Peut-être (...) que des amendes pour non-respect des règles ne sont pas là simplement pour nous protéger mais aussi pour nous soumettre à un climat anxiogène, favorisant la délation, le trop plein sécuritaire aux dépends de certaines libertés fondamentales.»
Nous étions plus de dix. A boire quelques bières entre amis pas vus depuis deux mois. En extérieur, en soirée, après le taf, aux abords d’une plage, en zone verte. Nos apparts trop petits pour quinze, un voisinage trop proche viennent compléter le tableau. Pas de masques, la distanciation d’un mètre peu respectée mais pas de partage de nourriture comme à l’accoutumée, pas d’embrassades, pas d’empoignades, le confinement est passé par là.
Jeunes ? Inconscients ? Irresponsables ? C’est ce que j’ai cru comprendre des policiers, c’est peut-être ce qu’ils pensent, c’est surement ce que pense le voisin qui les a appelés sans venir nous voir au préalable.Un
L’amende encourue ? 135€ chacun. Pour non port du masque ? Pour non-respect des gestes barrières ? Pour être dans une situation qui, dans le cas où un porteur sein se trouverait dans notre groupe, mettrait rapidement en circulation le virus dans plusieurs environnements ? Non. Parce que nous sommes plus de dix en période de crise sanitaire. On a dépassé un chiffre. Nous sommes de ce fait hors la loi et ça, c’est inadmissible. Ça c’est peut être également un problème.
A partir de quand l’enjeu sanitaire devient-il un argument sécuritaire ? Je me pose la question lorsque je prends une prune de ce montant-là. Ça a au moins l’avantage de faire réfléchir.
Nous avons strictement respecté le confinement bien que résidant tous dans la même ville. Certains d’entre nous bossaient en hôpital, en ehpad, en magasin alimentaire, en première ou deuxième ligne, aucun cependant en contact direct avec des personnes atteintes du Covid-19. Deux mois sans fréquentation, sans développer de symptômes, dans une zone fort heureusement très peu touchée par le virus.
Il est à croire que nous nous serions vus hier soir. Si ça n’était pas en extérieur alors en appartement. En vase clos. A ce jour, un environnement beaucoup plus propice à la propagation du virus*. Six, dix, quinze … quelle importance sanitaire ? Six personnes qui pensent que le virus peut être détruit en buvant de la javel sont-elles moins dangereuses que quinze qui commencent à remettre en cause les règles illogiques découlant d’une situation de crise ? Apparemment oui.
Comme beaucoup d’entre nous, je suis passé par plusieurs phases depuis trois mois : déni de dangerosité du virus puis sur-vigilance, acceptation puis incompréhension, critique de ceux qui ne faisaient pas attention puis de la gestion de crise du gouvernement, peur d’une deuxième vague, s’informer puis tenter de comprendre, peser le pour et le contre, être vigilant mais pas parano, se responsabiliser tout en se remettant à vivre, ne pas se voiler la face quant à quoi profite la situation.
Au vu de tout cela, peut-être étions-nous inconscients effectivement. Peut-être que dix ou vingt personnes c’est encore trop peu prudent. Peut-être que la date du 11 mai pour le déconfinement, les plages seulement autorisées pour l’activité sportive, les écoles qui rouvrent, les supermarchés qui n’ont pas d’obligation à mettre en place des mesures de sécurité, les bars et restos fermés, les Primark et H&M ouverts, peut être que tout cela fait partie d’une stratégie sanitaire bien étudiée.
Peut-être aussi que des amendes pour non-respect des règles ne sont pas là simplement pour nous protéger mais aussi pour nous soumettre à un climat anxiogène, favorisant la délation, le trop plein sécuritaire aux dépends de certaines libertés fondamentales. Peut-être que tout cela entre progressivement dans nos consciences comme une évidence et une nécessité sanitaire alors que rien n’est encore certain sur la circulation du virus, sa propagation, ses conséquences et effets secondaires sur la santé. Nous visualisons assez bien par contre la catastrophe économique et les conséquences qu’il a enclenchées.
Que le principe de précaution s’applique dans un contexte incertain, très bien. Qu’on me laisse entendre que je suis coupable de cette situation ou d’une situation future c’est l’arbre qui masque la forêt. La société du travail et des profits se frotte les mains, la santé peut enfin devenir un motif pour restreindre les loisirs. Et avec applaudissements au balcon s’il vous plaît.
« Vous avez joué, vous avez perdu. Rentrez chez vous, la fête est finie ». C’est ce que j’ai entendu hier soir de la part des policiers. Pour cette fois ci ça va. Je l’admets, j’ai été con, je la payerai votre amende.
A condition qu’elle serve à renflouer les caisses de l’hôpital public.
* https://www.liberation.fr/checknews/2020/04/01/covid-19-le-virus-se-transmet-il-dans-l-air_1783616 | ▲Retour