Quand les bleus voient rouge… Censure tranquille à Quai des Bulles
- Le 03/12/2023
- Dans Démocratie
Généalogie d’une soumission municipale et associative à une humeur policière et d’extrême-droite.
Il circule parfois au sein des manifestations malouines l’idée selon laquelle les forces du maintien de l’ordre de notre belle cité n’auraient pas l’agressivité ni l’amour du contrôle sourcilleux de leurs semblables d’autres territoires plus tendus. Il n’en est rien.
Sans vouloir jeter le discrédit sur les forces de police dans leur ensemble comme s’il s’agissait d’un corps monolithe, force est de constater que certains faits observés ces derniers mois ne manquent pas d’inquiéter : regards insistants lors de notre dernière distribution de tracts, fouille d’un voyageur à sa descente d’un train, verbalisation d’un colleur d’affiches pour stationnement gênant, nassage lors de la visite de G. Darmanin, interdictions de manifester…
Ne nous berçons pas d’illusions. À Saint-Malo comme ailleurs en France et dans le monde, l’autoritarisme incarné par notre ministre de l'intérieur est de plus en plus à l’ordre du jour. Sous des formes parfois inattendues.
La question ici aussi se pose : chargée du maintien de l’ordre, la police deviendrait-elle insidieusement la police des idées ? Une intervention récente de la Mairie sous pression de la police municipale malouine n’est pas de nature à rassurer les démocrates de ce pays.
Le Malotru vous invite à partager ici les réflexions transmises par un malouin à la suite de cet étonnant cas de censure réalisée « à la demande pressante » (sic) de la maréchaussée locale .
Guignol, reviens ! Les bleus voient rouge...
Depuis plus de 200 ans, la marionnette du Gendarme est un personnage phare du théâtre comique. Qui n’a pas ri au spectacle du Gendarme ployant sous les coups de bâton de l’ami Guignol ? Sous l’ère Darmanin, Guignol ne fait plus rire ses agents.
On apprend (Ouest-France 27 novembre 20231, et Le Pays Malouin 30 novembre 20232) qu’une exposition de bandes dessinées qui devait rester en place au-delà du Festival Quai des Bulles a été retirée dix jours avant la clôture prévue à la demande des... agents de police de la bonne ville de Saint-Malo. La sensibilité de nos carabiniers malouins aurait été « heurtée » (sic) par la représentation d'une...chorale chantant un slogan anti-policiers au sein de deux panneaux de l'exposition incriminée.
George Coudray, président de l'association Quai des Bulles, qui est sûrement, à titre personnel, contre toute fatwa, reconnaît le terme de « censure » : « J'assume pleinement ce choix... Je l'ai accepté, dit-il, dans un souci d’apaisement et de vivre ensemble »...
Certes un petit dessin représentant des choristes chantant l'hymne des militants radicaux : « Tout le monde/Tout le monde/Déteste la police » est loin de flatter ce corps de métier, mais que dire des caricatures de Daumier, des dessins de Cabu, ou des illustrations du Canard Enchaïné qui sont loin de représenter les forces de l’ordre à leur avantage ? Si les bouchers, les fonctionnaires, les traders, les coiffeurs, les infirmières etc. qui se sentent heurtés par des images de fiction commencent à demander le retrait d'images BD ou de films « heurtant leur sensibilité », on n'en a pas fini. Il est vrai que la BD incriminée (tirée à 20 000 exemplaires, Mazette !) s'intitule : Koko n'aime pas le capitalisme.
On aurait sans doute tort de prendre cet épisode pour un fait divers ou une simple anecdote divertissante : de même que le gouvernement Macron/Darmanin a peur de sa police (au sein de laquelle circulent déjà des idées d'extrême droite) et cède régulièrement à ses exigences, on voit ici même un président d’association, ancien élu (il fut adjoint de René Couanau), accéder aux « préoccupations » (sic) de la police qui voit un délit réel dans une fiction, de simples images « heurtant leur sensibilité"…
Il est curieux, incidemment, d’observer que ce même argument ( « peut heurter la sensibilté ») fut récemment utilisé par la Directrice du lycée privé catholique La Mennais de Ploërmel pour retirer de la bibliothèque de cet établissement le roman de Neige Sinno "Triste tigre" qui remportait quelques jours plus tard le Prix Goncourt des Lycéens…
Plus curieux encore, comme le signale l’article du Pays malouin, il apparaît que l’« alerte » concernant ce double panneau censuré était déjà lancée sur le réseau social X (ex-Twitter) par le représentant du R.N. (ex-F.N.), Dylan Thomas... La bataille culturelle qui fait rage aux U.S.A, mais aussi dans des régions où des municipalités sous pression de l’extrême-droite sur des enjeux comparables, ferait-elle des émules en Bretagne ?
Pensons enfin à l'auteur de cette BD ainsi stigmatisé. Sans vouloir en faire un Salman Rushdie à l'échelle locale ou régionale, qui serait tranquille à sa place, cible désignée par une fatwa bien inquiétante venant des gardiens locaux de la Nation mais aussi de l’extrême-droite?… Sans doute sera t-il rassuré de savoir que l’équipe du Festival a souhaité « réaffirmer son soutien indéfectible envers l’auteur », ceci dans la poursuite de sa mission : « promouvoir la bande dessinée sous toutes ses formes ».
Sous toutes ses formes. Vraiment ?
Sources
1. Une expo avec des dessins critiques sur la police à Saint-Malo retirée à la demande de la mairie. Ouest France, publié le 27/11/2023. ► Retour au texte
2. La mairie de Saint-Malo demande de retirer des dessins qui se moquent de la police. Le Pays Malouin, publié le 27/11/2023. ► Retour au texte
3. POLÉMIQUE. Des planches de BD stigmatisant la police, retirées à la demande de la mairie de Saint-Malo. France 3 Bretagne, publié le 26/11/2023.
4. A Saint-Malo, la BD qui ne plaît pas à la police. L'Obs, publié le 24/11/2023.