Petits cabris à La Grande Passerelle, Saint-Malo

Le Malotru y était

Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! », « l'Europe ! », « l'Europe ! » mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien (De Gaulle, 14 décembre 1965).

Difficile d’ignorer qu’une soirée sur l’Europe, en présence de M. le Maire de Saint-Malo, avait lieu ce soir-là, 4 novembre, à la Grande Passerelle dans le cadre de la coopération désormais institutionnalisée avec la Maison de l’Europe. Mme Hutin, sa fondatrice était là, encore et toujours, jouant pleinement son rôle d’animatrice à l’optimisme insubmersible. Petit auditoire, il faut bien l’avouer malgré tous ces efforts. Un débat sur l’Europe n’attire pas les foules, n’attire plus les foules, devrait-on dire plutôt. Chat échaudé… Une quarantaine de personnes s’étaient déplacées pour écouter le conférencier, un certain Thomas Leboulenger, jeune administrateur à la Commission Européenne, collaborateur du Commissaire européen à l’emploi. La plus jeune personne présente à cette soirée, d’ailleurs, et cela est significatif, c’était lui. L’Europe fait-elle encore vibrer la jeunesse ?  Pas davantage, on le comprend, en lui parlant d’emploi.

La voix de son maitre (illustration)En effet, tel était le sujet : L’Union européenne et… l’emploi. Il faut oser, diront certains. Il osa, sans vergogne, et il faut bien le dire, de l’avis général, sans charisme ni chaleur vraiment contagieuse. Bref, on s’ennuya ferme alors que les « slides » ‘dixit l’orateur défilaient sur l’écran pendant 45 mn. Il faudra vraiment, un jour, interdire aux conférenciers l’usage du « Powerpoint », ce Signe de la Puissance, littéralement, qui n’en est que la triste illusion. Long, trop long, exposé technique, tableaux, statistiques, lignes de budget, sigles et acronymes confus (« FEDEAR, ça va, vous suivez ? »), Bref tout ce qu’il est désormais possible de trouver depuis son fauteuil d’un seul clic sur les multiples sites de l’Union européenne.

Bien anesthésiés à l’issue de la présentation, peu d’auditeurs osèrent, dans un premier temps, poser des questions. On eut droit à la classique question sur l’interdiction des échelles et escabeaux pour les apprentis de moins de seize ans « imposée par l’Europe ». Occasion de rappeler que c’est la France qui a donné alors une interprétation très limitative à une directive beaucoup moins contraignante (amendée depuis), mais occasion manquée de rappeler que cette Europe naît aussi des choix successifs, des abandons délibérés, des initiatives les plus néo-libérales des gouvernements, y compris les nôtres qui se sont succédés depuis des décennies. Une autre intervention de la même eau demanda un abaissement à treize ans de la possibilité de l’apprentissage, ce qui ne sembla désarmer personne. Mme Hutin conclut sur ce point en assurant que « on ferait remonter naturellement tout cela », ce que confirma le jeune orateur qui rappela son rôle évidemment non politique.

Votre représentant du Malotru sembla alors réveiller l’assemblée. Il posa précisément « au nom du Malotru, malotru.org sur la Toile », petite publicité au passage, la question politique : « Tout cela est bien gentil, mais tout ce débat sur l’emploi fait l’impasse sur bien des points essentiels, il fait tout même pour éviter la vraie question : À quoi sert de débattre abstraitement et techniquement de l’emploi en Europe alors qu’au même moment on impose partout une politique monétaire et budgétaire européenne qui tue littéralement l’emploi et ses conditions, au nom d’un combat homérique contre une inflation qui n’existe même plus ? » Il tenait le micro et en profita pour citer des gauchistes notoires : John Stiglitz parlant du « risque d’une décennie perdue » et recommandant un arrêt urgent des politiques d’austérité, Jean-Paul Fitoussi déclarant que « l’austérité conduit l’Europe au bord du gouffre », ajoutant que cela se traduit par « un déficit démocratique croissant, une destruction de capital humain et social, une dépréciation du futur ». Il nota qu’à aucun moment, ni l’orateur ni Mme Hutin, ni Mr Renoult, n’avaient, à la veille de la COP 21, évoqué la transition écologique, gisement probable d’emplois et d’innovations, notamment pour les P.M.E. Il glissa en conclusion : « Continuez ainsi et vous élargissez encore le boulevard des partis de la Droite extrême qui prospèrent sur les résultats de ces choix politiques que vous n’avez pas, aujourd’hui encore, remis en question ». On ne cachera pas que de beaux applaudissements suivirent. Mme Hutin eut tôt fait, cependant, de tenter d’étouffer l’incendie qui naissait en réaffirmant combien l’Europe avait contribué à nous assurer la paix etc. et qu’elle progressait, certes, difficilement, mais… Bref, l’antienne qui ne suffit plus aujourd’hui pour calmer les peuples.

Une voix, très en colère, l’interrompit alors pour rebondir « à partir des propos du " monsieur du Malotru" » avec lequel il exprima son plein accord. S’exprima alors une vraie colère de la part d’un responsable d’association d’insertion de personnes handicapées qui dit combien la situation devenait difficile et combien elle était en contradiction avec les discours lénifiants qu’on venait d’entendre : « Vous venez d’aligner des chiffres et des sigles pendant deux heures, et moi, je repars sans rien à partager avec celles et ceux que j’accompagne ». Tout était dit. Mme Hutin assura que La Maison de L’Europe pourrait l’orienter vers un service adéquat et que des fonds européens restaient sans destination… On s’acheminait vers la fin de la soirée. Chacun sentit naturellement que le salut était proche.

On pourra se rassurer à bon compte en apprenant quelques jours après qu’on avait échappé au pire : La même boîte de prod’ avait programmé une soirée rennaise sur le « Digital Single Market », le marché numérique unique. En vedette américaine, si on ose, l’unique, l’exceptionnel… Pascal Lamy. Le lendemain de sa prestation —qui concluait les Rencontres annuelles de la Maison de l’Europe— Ouest-France titrait : « L’expert a sonné le tocsin ». On ne rigole plus.