Accord UE-Mercosur : derrière la confusion, où en est-on ? Réponse en 10 questions.
- Le 10/10/2020
- Dans Economie / Finance
Article publié le 5 Octobre 2020 par le collectif national unitaire stop TAFTA (collectif qui dénonce les accords de libre échange passés par l'UE et dont Attac fait partie).
La confusion règne. Le vendredi 18 septembre, suite à la remise d’un rapport d’évaluation relativement critique sur l’accord de libéralisation du commerce entre l’UE et les États du Mercosur, le gouvernement a d’abord laissé entendre qu’il s’opposait à cet accord : « il n’y aura pas d’accord au détriment de notre planète » a affirmé la ministre de la transition écologique Barbara Pompili.
Le mardi suivant, Franck Riester, ministre du commerce extérieur, laissait pourtant la porte ouverte en indiquant ne « pas vouloir bloquer toute démarche » et « jeter à la poubelle 10 ans de travail ».
Alors qu’en est-il ? Où en est le processus de finalisation et de ratification de cet accord ? Quelles sont les prochaines étapes ? Que faut-il attendre ? Que faut-il faire ? Réponse en 10 questions.
1. La France a-t-elle stoppé net les négociations ?
En juin dernier, devant les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron avait indiqué « avoir stoppé net les négociations avec le Mercosur ». C’était manifestement erroné puisque les négociations se sont poursuivies fin 2019 et début 2020 et ont permis de finaliser les parties manquantes de l’accord (« dialogue politique » et « coopération »). La Commission européenne a indiqué le 6 juillet dernier avoir « terminé le nettoyage juridique » du texte et débuté « la phase de traduction », tout en précisant que la phase de ratification pourrait débuter à l’automne. L’ Allemagne avait d’ailleurs fait de la ratification de cet accord une priorité de la présidence de l’UE qu’elle exerce pour 6 mois depuis le 1er juillet.
2. L’opposition de la France est-elle ferme ?
A l’occasion de la remise du rapport de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur, le gouvernement a indiqué rester « opposé au projet actuel », en pointant le problème « majeur » de la déforestation. Il a formulé trois « exigences » pour poursuivre le processus de finalisation et de ratification de cet accord : qu’il ne provoque pas « d’augmentation de la déforestation », que les pays du Mercosur respectent « leurs engagements au titre de l’Accord de Paris », « que les produits agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et environnementales de l’UE ».
Il est inquiétant de noter que le gouvernement envisage donc d’accepter un projet d’accord qui pourrait être complété et/ou modifié à la marge : les trois exigences sont en effet doublement insuffisantes. Elles sont insuffisantes en elle-mêmes car elles sont trop imprécises et sans capacité à changer l’économie générale de l’accord : un accord pensé et négocié pour exporter plus de voitures et de machines-outil et importer plus de la viande, de soja et d’éthanol ne peut-être transformé par une annexe interprétative, comme le montre l’exemple du CETA. Ces trois exigences sont encore plus insuffisantes lorsqu’on constate qu’elles ne couvrent pas des enjeux majeurs tels que l’impact de l’accord sur l’emploi, les normes sociales, les services publics, la biodiversité, les droits humains, les libertés publiques, etc.
3. Un État-membre de l’UE peut-il stopper seul l’accord UE-Mercosur ?
Depuis plus d’un an, Emmanuel Macron et le gouvernement se comportent comme s’il suffisait de dire « non » à l’accord UE-Mercosur à Paris mais sans prendre aucune initiative pour le bloquer à Bruxelles. Le seul « Non » de la France pourrait pourtant ne pas être suffisant. La Commission et le Conseil ont en effet pris l’habitude de couper les accords de libéralisation du commerce en deux. D’un côté sont mis tous les chapitres de l’accord, notamment ceux relatifs au commerce, qui sont compétence exclusive de l’UE et qui nécessitent la seule ratification du Parlement européen, accélérant ainsi le calendrier de ratification. De l’autre côté est placé ce qui est de compétence mixte, c’est-à-dire à la fois de compétence communautaire et nationale (la coopération, certains chapitres sur l’investissement, etc), et qui doit suivre le long processus de ratification des différentes instances aux plans national et infra-national.
Il existe une possibilité que la Commission propose de procéder ainsi à propos de l’accord UE-Mercosur afin de tenter de couper l’herbe sous le pied aux réticences de certains pays. Cette question ne semble pas tranchée. En raison de la nature de l’accord et de la date où le mandat a été délivré – l’accord UE-Mercosur est officiellement un accord d’association avec un mandat de négociation délivré en 1999 – de nombreuses incertitudes juridiques et politiques persistent. Néanmoins, si l’accord devait être ainsi découpé, alors seul le Parlement européen pourrait s’opposer à l’Accord de libre-échange proprement dit, à moins qu’il y ait une minorité de blocage qui le bloque au sein du Conseil européen. Raison pour laquelle Emmanuel Macron et le gouvernement ne peuvent se limiter à dire « Non » à Paris sans entreprendre la constitution d’une minorité de blocage au sein du Conseil européen.
4. Que cherchent à faire les pays européens ?
En marge d’une rencontre des ministres du commerce extérieur des États-membres de l’UE à Berlin mi-septembre, le nouveau commissaire européen au commerce Valdis Dombrovskis a indiqué que « la Commission européenne cherchait un engagement clair des pays du Mercosur sur le développement durable ». Le ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, dont le pays occupe actuellement la présidence tournante de l’UE, a lui affirmé que « les États membres étaient clairement disposés à discuter de ce qui peut être fait, en comblant les lacunes, sans anticiper ou précipiter les choses », précisant que « même sans rouvrir le texte, il y a certaines questions que nous devons clarifier, que nous pouvons clarifier ».
Deux options semblent écartées à court terme : 1) que les États-membres de l’UE abandonnent cet accord par un vote négatif au Conseil européen ; 2) qu’ils soumettent rapidement cet accord à ratification tel qu’il existe aujourd’hui. Il semblerait – mais cela reste à confirmer – que les ministres se soient mis d’accord pour tenter de trouver une solution intermédiaire, permettant de gagner du temps et de donner le change envers l’opinion : obtenir des pays du Mercosur un engagement en matière de développement durable. Sous quelle forme ? Tout cela reste ouvert à ce stade. Huit États-membres viennent ainsi d’écrire à l’exécutif brésilien pour l’enjoindre d’agir contre la déforestation pour sauver l’accord UE-Mercosur.
5. Le processus de ratification va-t-il être enclenché le 9 novembre ?
C’est la date où l’accord UE-Mercosur devait être présenté en Conseil européen. Qu’il le soit formellement ou pas, il est certain que cet accord sera un point important de l’ordre du jour de ce Conseil des affaires étrangères consacré au commerce. Si la possibilité de voir les 27 États-membres de l’UE engager le processus de ratification s’est un peu éloignée, rien n’est encore assuré.
Lors d’une réunion européenne de coordination de la société civile, il a été décidé de prévoir des initiatives à cette occasion, ou la semaine / le week-end précédents, pour rappeler nos exigences : pour l’abandon de l’accord UE-Mercosur, Bolsonaro ou non. Pour nous en France, il faut ajouter une interpellation directe d’Emmanuel Macron et son gouvernement : après avoir dit Non à Paris, la France doit le bloquer à Bruxelles.
6. Est-ce que gagner du temps ne serait déjà pas une victoire ?
L’Allemagne avait fait de la finalisation et de la ratification de cet accord une priorité de la présidence de l’UE qu’elle exerce pour 6 mois depuis le 1er juillet. Qu’elle ne puisse vraisemblablement pas y arriver doit être vu comme le fruit du rapport de force qui s’est instauré dans l’opinion, avec une opinion publique toujours plus opposée à cet accord et un rejet croissant y compris dans le monde politique et économique. Un report du vote semble maintenant très probable, montrant que cet accord est désormais devenu toxique : plus personne n’ose le défendre en public.
7. De quel côté penche l’opinion publique ?
Selon un sondage publié le 10 septembre dernier, 78% des personnes interrogées en France veulent que cet accord soit abandonné. Réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne), avec des résultats similaires pour chaque pays, le sondage mené par Yougov et SumofUs dresse clairement l’horizon à suivre pour Bruxelles et les États-membres : ne plus approfondir la mondialisation néolibérale et productiviste au détriment du climat, de l’Amazonie et des emplois. L’opinion publique ne saurait donc accepter que Bruxelles et les États-membres de l’UE élaborent de nouveaux stratagèmes incongrus – comme l’adjonction de déclarations sans valeur et sans effet sur le texte même de l’accord – pour tenter de sauver le contenu d’un accord négocié depuis plus de 20 ans. Il s’agit désormais d’arrêter de tergiverser et repousser à plus tard ce qui devrait être fait aujourd’hui : rejeter l’accord entre l’UE et le Mercosur, et remettre à plat la politique commerciale européenne.
8. Que faire ?
Il nous faut poursuivre la mobilisation (organisations de la société civile, experts, etc.) pour progressivement accroître la pression afin que cet accord d’un autre âge qui vise à exporter des voitures et importer toujours plus de soja et de viande, au détriment du climat, de l’Amazonie et des emplois soit abandonné. Et puisque les États-membres de l’UE semblent vouloir trouver une porte de sortie en complétant l’accord d’un protocole additionnel ou d’une déclaration interprétative, il nous faut refuser d’entrer dans ce jeu : l’accord UE-Mercosur ne peut être sauvé et il doit être abandonné. Comme une condition également au fait de remettre à plat la politique commerciale européenne.
Rejeter les textes des accords du MERCOSUR, mais aussi du CETA, l’accord UE-Canada, et de tous les accords de nouvelle génération qui présentent les mêmes risques pour les droits des populations et la planète sont des conditions pour une révision en profondeur de la politique commerciale européenne.
9. Qu’exiger d’Emmanuel Macron ?
Il est temps qu’Emmanuel Macron fasse enfin à Bruxelles ce qu’il affirme à Paris : pour « stopper net » cet accord, encore faut-il trouver des alliés et construire une minorité de blocage qui garantisse qu’un tel accord soit abandonné lors du prochain Conseil européen. C’est possible : les parlements autrichiens, hollandais et wallon se sont prononcés contre (lire cet article). Le moment est donc propice pour qu’Emmanuel Macron prenne enfin une initiative afin de construire une opposition collective et visible au sein du Conseil européen.
10. Quelle alternative ?
La politique commerciale européenne doit être revue en profondeur et s’engager à garantir les droits de tou.tes les citoyen.nes - y compris la santé, les droits des travailleurs, les agriculteurs, etc.- et la protection de la planète. C’est loin d’être le cas avec les accords de commerce de nouvelle génération aujourd’hui sur la table qui font la part toujours plus belle aux multinationales et menacent nos normes sociales et environnementales.
L’accord entre l’UE et le Mercosur empêche la relocalisation de notre système agricole, alimentaire et économique que tout le monde réclame aujourd’hui suite à la pandémie de Covid-19. Cette bataille contre l’accord UE-Mercosur s’inscrit donc dans un cadre plus large, celle de la bataille pour une relocalisation écologique et solidaire. Comme nous l’avons écrit dans une tribune, « relocaliser, c’est remettre les pieds sur terre. Relocaliser, c’est tourner la page d’une politique commerciale qui fait du dumping social, fiscal et écologique un horizon indépassable. Relocaliser, c’est ne plus faire de l’emploi et de la planète les variables d’ajustement de la rentabilité économique et financière.
Relocaliser, c’est se doter d’une approche globale en matière de droits des travailleurs pour qu’ici comme ailleurs, celles et ceux qui travaillent ne deviennent les victimes des relocalisations. Relocaliser, c’est aussi faire décroître les flux de capitaux et de marchandises et la place des secteurs toxiques pour la biosphère afin de protéger et promouvoir les activités essentielles qui nous protègent et nous nourrissent. C’est enfin substituer à la logique du « produire plus, toujours plus vite, moins cher et n’importe où, avec moins de travail et moins de contraintes environnementales » celle du « produire mieux, via des emplois de qualité, des processus de production préservant la planète, des circuits courts, pour satisfaire les besoins essentiels des populations » ».