Eléments d'actualité fiscale - Avril, Mai 2024
- Le 19/06/2024
- Dans Economie / Finance
Un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir certaines informations que vous avez peut-être ratées.
Parce que la justice fiscale est un des piliers de la démocratie, parce qu’un de nos objectifs est d’informer sur ce sujet que beaucoup ressentent hors de portée, Attac ne cesse de mettre en lumière le scandale de l’évasion fiscale, des paradis fiscaux, et des pratiques financières tolérées ou encouragées par les gouvernements contre l’intérêt des peuples.
Pour vous informer, n’oubliez pas le site de l’Observatoire de la Justice Fiscale d’Attac France, et nos contributions locales comme ces Éléments d’actualité fiscale, fruits de la vigilance médiatique de quelques militants du comité local. Merci aussi à François Rault, pour sa vigilance médiatique.
Attac a également publié le 20 février 2024 (journée mondiale de la justice fiscale) une note proposant 6 solutions pour récupérer 60 milliards d’euros en mettant enfin à contribution les ultra-riches et les multinationales.
Chacun des faits mentionnés ci-dessous a été choisi - parmi bien d’autres – comme illustration significative de pratiques que nous combattons. Ces éléments nous paraissent utiles utiles pour nourrir les débats et créer la riposte face à la désinformation, la manipulation, les manœuvres de diversion bien profitables à certains intérêts.
ESPAGNE : Face à la spéculation immobilière, l’Espagne met fin aux « visas dorés »
L’Union européenne a trop longtemps toléré dans certains pays des pratiques d’attraction fiscale et même de défiscalisation partielle ou totale hors-norme pour des entreprises et aussi pour des particuliers dotés de grandes fortunes. Le fameux « ruissellement » a souvent permis de justifier ces pratiques aux yeux des populations, notamment dans plusieurs pays du sud de l’Europe qui avaient eu recours à des programmes similaires pour attirer les investissements durant la crise financière. On note que bon nombre de ces pays (Portugal, Grèce,…) ont décidé ces derniers mois d’être, à-minima, plus exigeants dans le champ d’application de ce régime d’exception fortement contesté.
On se souvient que l’assassinat de la blogueuse maltaise anti-corruption Daphne Caruana Galizia à Malte avait vraisemblablement partie liée avec cette question. Les programmes « cash for passport » mis en place avec le gouvernement maltais consistaient alors à offrir à des individus la citoyenneté, en échange d’investissements dans l’économie ou de versements uniques à la caisse de l’État. Il suffisait au candidat de verser pour 150 000 euros d’obligations d’État en échange d’un passeport. On sait aujourd’hui que ces passeport profitèrent largement à des oligarques russes proches de Poutine… À l’époque, Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE expliquait au Temps que « Certains prestataires vendent de tels titres de citoyenneté en guise d’instrument servant à contourner l’échange automatique de renseignements (EAR) »…
En Espagne, ces permis (permis de résidence et de travail de trois ans) ont été introduits en 2013 par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Contrairement à l’esprit supposé du programme, ils ont conduit au bilan suivant : 94 visas dorés sur 100 sont liés à l’investissement immobilier et non à un investissement dans une entreprise. Face à cet investissement spéculatif massif et inflationniste, on observe que beaucoup de jeunes et de familles sont aujourd’hui incapables d’accéder à un logement dans de nombreuses villes d’Espagne.
► L'Espagne va mettre fin aux visas dorés destinés aux riches étrangers pour freiner la spéculation immobilière. Publié par Le Monde avec AFP, le 08/04/2024. (Pour abonnés)
Le Luxembourg, puissance financière hors-norme : « Un euro sur quatre est généré par la Place financière, un tiers des employés nationaux dépendent directement ou indirectement du secteur financier »
Notre dernière livraison du Malotru (février-mars) signalait que, selon Eurostat, l’Irlande du sud avait détrôné le Grand-Duché dans le classement des régions les plus riches d’Europe. On rappelait toutefois que ce type de statistique établit des PIB moyens bien artificiels surtout dans des pays où les disparités sociales et les écarts de revenu réel sont extrêmes…
Dans les faits, le Grand-Duché n’a pas perdu sa puissance financière totalement. Mais le Luxembourg veut rester dans la course et trouver de nouveaux filons. Ainsi, Diane Adehm, la rapporteuse du budget de la coalition au pouvoir veut renforcer la recherche de « nouvelles niches » comme la fintech, la défense et... l'espace.
L’article de Virgule insiste néanmoins sur la nécessité de renforcer l’industrie principale du pays :
« la rapporteuse mise en premier lieu sur « l'un des principaux piliers » de la richesse nationale: la Place financière luxembourgeoise. La raison de cette focalisation est simple: « Beaucoup de choses que nous pouvons nous permettre dépendent de la santé de la Place financière ». « Un euro sur quatre, a expliqué Diane Adehm aux députés, est généré sur et par la Place financière ». Environ un tiers des employés nationaux dépendent directement ou indirectement du secteur financier. »
Et de conclure : « Diane Adehm conclut que l'État ne doit pas seulement garantir les conditions d'implantation des banques, des entreprises de la fintech, des fonds et de leurs employés, mais aussi les améliorer. »
Enfin, à retenir, pour bien cerner la « puissance de frappe » de ce petit pays (660 000 habitants) :
Les fonds d'investissement gèrent des actifs d'environ 5,3 billions d'euros (5.300.000.000.000) au Grand-Duché. Au niveau mondial, seuls les États-Unis possèdent une industrie des fonds plus importante…
► Diane Adehm: «Un euro sur quatre est généré par la Place financière». Publié par Virgule, le 24/04/2024.
Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort.
Luxembourg (bis) : Un faux chèque de 60 milliards d’euros libellé au Luxembourg offert à un ministre français par Attac
La presse luxembourgeoise, et Virgule, en particulier, sont très sensibles – comme tous les paradis fiscaux et judiciaires aujourd’hui – à la manière dont leurs activités économiques et financières sont perçues à l’étranger, par leurs voisins, notamment. Virgule a ainsi rendu compte de l’opération menée par une dizaine de militants de l’association Attac qui ont apporté au Ministère français de l’Économie et des Finances un « chèque » de 60 milliards d’euros. Ce dernier représentait, à leurs yeux, la manière dont le déficit public pourrait être comblé en taxant les très riches. Le faux chèque était un facsimilé d’environ 2 m2 d'un chèque de la « Superprofit Bank » située au Luxembourg, émanant d’un compte « Bernard Arnault & Co» (le PDG de LVMH est l’homme le plus riche du monde selon Forbes) résidant « Impasse du Paradis Fiscal » dans le 16e arrondissement.
« 60 milliards, c’est ce que le gouvernement pourrait récupérer dès cet été, avec un projet de loi de finances rectificative », en taxant « la manne financière » issue notamment de l’envolée des profits des grandes entreprises, a affirmé à l’AFP l’une des porte-parole, Youlie Yamamoto.
Au contraire, a-t-elle remarqué, le gouvernement préfère « sabrer dans les budgets socio-écologiques », et « faire les poches des précaires », pour résorber un déficit public qui a dérapé de 4,9% du PIB prévus en 2023 à 5,5%.
Un sondage Elabe pour le journal Les Échos a récemment montré que 84% des Français souhaitent une taxation des superprofits pour réduire le déficit, et 76% l’augmentation des impôts des plus riches. Attac a également lancé lundi une pétition, « 60 milliards en taxant les plus riches, maintenant c’est possible ! ».
Pour signer, c’est ici.
► Un faux chèque de 60 milliards d’euros libellé au Luxembourg offert à un ministre français. Publié par Virgule, le 08/04/2024.
► Vidéo de l’opération sur YouTube. (1min 49)
Trafic maritime trans-Manche : Les marins de P&O bénéficieront des conditions imposées par la France contre le dumping social
Novembre 2022 : réunion avec les protagonistes. Janvier 2023 : la proposition de loi est présentée au Parlement. Juillet 2023 : la loi est adoptée à l’unanimité. 19 mars 2024 : les décrets d’application sont signés.
Il aura fallu plus de deux ans pour réussir à interdire le dumping social pratiqué par des compagnies trans-Manche low-cost. Et pourtant, souligne l’article du Monde consacré à cette afffaire, « cette vitesse d’exécution pour adopter une nouvelle loi est exemplaire ».
L’affaire, on s’en souvient, avait fait grand bruit dans le Landerneau maritime. Il y a deux ans, profitant du nouvel espace juridique ouvert par le Brexit, l’opérateur Trans-Manche P&O (propriété du Groupe DP World, basé à Dubaï, navires sous pavillon chypriote) avait mis à pied près de 800 travailleurs sans avertissement, du jour au lendemain. Via l’agence de manning Philcrew Management située à Malte, P&O les avait remplacés illico par des salariés Indiens, Philippins, Malais etc. payés… la moitié du salaire minimum du Royaume-Uni, soit moins de 5 Livres/heure pour des journées de travail de 12 heures alignées sans jour de repos sur plusieurs mois !
Sous pression des autorités françaises, obligation a été faite à P&O et autres opérateurs « low-cost » (Irish ferries, notamment) de respecter sous trois mois la législation européenne et le Droit du travail en lien avec leur activité en France et dans les ports européens.
Hervé Berville, Secrétaire d’État à la Mer, a rappelé que ces législations s’appliquaient à tous les opérateurs Trans-manche Douvres-Calais, Poole-Cherbourg etc. La nouvelle grille des salaires devra donc inclure à-minima le salaire minimum français, soit plus du double de celui que P&O a tenté d’introduire, introduisant une concurrence face à laquelle aucun opérateur ne pouvait faire face, notamment Brittany Ferries qui s’efforce de conserver le pavillon français pour sa flotte. En outre, il ne sera plus possible de dépasser quatorze jours de travail consécutifs.
► P&O Ferries seafarers told they will benefit from new French pay rules. Publié par The Guardian, le 22/04/2024. (En anglais)
et
► P&O Ferries has paid some crew less than half UK minimum wage. Publié par The Guardian, le 18/03/2024. (En anglais)
► Cross-channel ferry crews must be paid at least £9.95 an hour under French law. Publié par The Guardian, le 19/03/2024. (En anglais)
► Le dumping social sur les ferrys en Manche sur le point d'être interdit. Publié par Le Monde, le 19/03/2024.
Cet épisode de la guerre des pavillons rappellera à certaines et certains un épisode du conflit qui, en 2015, à Saint-Malo, opposa des salariés français de Condor à leur employeur qui refusait de contribuer à leurs couverture sociale (sécurité sociale, retraite, chômage). Onze salariés de Condor Ferries avaient bloqué le Condor Rapide pendant deux semaines. Condor était alors propriété du groupe financier australien Macquarie. ses navires battaient pavillon des Bahamas, et ses salariés étaient sous contrat de travail des Iles Anglo-Normandes alors que l’essentiel de son activité s’exercait dans les eaux européennes.
Nous avions, au sein du comité local, démonté les schémas financiers de cette multinationale emblématique. Nous avons mis également en lumière le jeu savant qu’elle a organisé entre ses filiales, ses modes et lieux de recrutement et d’emploi, ou les dispositifs d’enregistrement offshore de ses navires. Notre engagement aux côtés des navigants concernés, puis des autorités locales et nationales avait fini par payer puisqu’une loi avait stipulé qu’à partir du 01/01/2017, l’employeur étranger de navigants français embarqués sous pavillon étranger devait donc financer à hauteur de 50% leur protection sociale, le reste étant prélevé sur leur salaire.
► Condor, la belle affaire... Publié par le Malotru, le 31/01/2015.
► Condor Ferries (Suite et fin ?) Publié par le Malotru, le 12/12/2015.
Attention, danger, vous allez en entendre parler : Union des capitaux, la nouvelle lubie des responsables européens
« L’« union des capitaux » est présentée comme le seul outil susceptible de contrer le grand décrochage de la zone euro par rapport aux États-Unis. Ce concept flou donne une fois de plus l’impression que des dirigeants avancent masqués pour au final priver d’autonomie fiscale et budgétaire les États. » (Martine Orange. Médiapart, 21 Avril 2024)
L’exemple vient d’outre-Atlantique. L’idée avancée est qu’un marché de capitaux intégré permettrait de mobiliser l’excédent européen d’épargne privée pour financer l’investissement de long terme dans la transition verte et numérique. Elle est surtot portée par Mario Draghi, ex-président de la Banque centrale européenne (BCE), qui appelle à un « changement radical » et une « redéfinition de notre Union qui ne soit pas moins ambitieuse que l’élan des pères fondateurs qui a conduit à la Communauté économique du charbon et de l’acier il y a soixante-dix ans ».
M. Draghi doit remettre en juin un rapport sur la compétitivité de l’Europe et il assure que si elle ne veut pas être absorbée, l’UE doit s’équiper d’outils adaptés au monde « d’aujourd’hui et de demain ». Le projet met en avant la fragmentation du marché intérieur européen. Selon Enrico Letta, l’ancien premier ministre social-démocrate , cette fragmentation non seulement empêche l’Europe de rivaliser avec les grandes puissances économiques mondiales mais crée des emplois à l’étranger et fait des entreprises européennes la proie de ces puissances.
En fait, cette intégration avance depuis dix ans , mais accélérer le mouvement vise à mobiliser l’excédent européen d’épargne privée en créant, par exemple, comme Olaf Scholz, et le président français, Emmanuel Macron, en ont lancé l’idée récemment, un produit d’épargne européen. Il est difficile pour bon nombre d’observateurs de valider ou, au contraire, de critiquer la pertinence d’un tel projet. D’autant que la résistance la plus significative vient d’une douzaine d’États membres, menés par le Luxembourg et l’Irlande qui ne veulent pas voir leur pouvoir national de supervision financière et leurs régimes fiscaux menacés.
Beaucoup, venus d’un autre horizon, assurent qu’un fédéralisme pris en douce par le versant financier ne résoudra pas la concurrence fiscale, ni l'absence de pouvoir fédéral démocratique. Ce qui est inquiétant également, c’est que beaucoup de politiques et de médias (dont Le Monde) nous présentent déjà ce projet Letta/Draghi comme un impératif. Cette rhétorique rappelle à beaucoup la manière dont l’UE a fait , depuis plusieurs décennies,« passer » les privatisations au nom de la concurrence supposée nécessaire : 1er, on casse les anciens monopoles publics et on fragmente, 2ème, on crie à la fragmentation et on invite à la création de champions privés panaeuropéens…
La référence au marché unitaire états-unien supposé offrir une solution aux problèmes du jour est elle-même discutable : Même aux États-Unis c'est l’État qui se trouve obligé de piloter l'investissement pour la transition décartonnée.
L’article de Médiapart cite Éric Monnet, Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et professeur à l’École d’économie de Paris, qui dit sa perplexité. « La liberté de circulation des capitaux existe déjà. Il y a déjà de nombreuses directives pour harmoniser les produits financiers et bancaires. L’union des capitaux a-t-elle pour projet de compléter le dispositif en créant une supervision commune comparable à celle de banques ? Ou a-t-elle comme objectif de créer une harmonisation fiscale et budgétaire en supprimant les incitations fiscales prises dans les différents pays, comme le livret A par exemple ? »
Le risque est grand, en effet, de voir disparaître les dispositifs d’incitation pour orienter l’épargne, les allégements et autres mesures pour favoriser un secteur, à l’image du livret A qui assure le financement du logement social…
« Vous avez des chefs d’État et de gouvernement qui font face à un mur d’investissements, et qui cherchent refuge, non dans les faits, mais dans la fiction que la plupart de ces investissements viendront du secteur privé. Cela n’arrivera pas. On n’aura des investissements privés que s’ils sont profitables. Rien de ce qui n’est pas profitable ne sera financé par le secteur privé. Point », ajoute de son côté Philippe Lamberts, président du camp écologiste au Parlement européen. Le sujet doit revenir sur la table en juin, mais d’ici là le paysage français et européen aura peut-être bien changé.
► Union des capitaux : la nouvelle toquade des responsables européens. Publié par Médiapart, le 21/04/2024.
Et
► L'union des marchés de capitaux un impératif pour l'Europe. Publié par Le Monde, le 2/04/2024.
Voir aussi le débat entre Clément Beaune (porte-parole de la campagne de Renaissance) et Aurore Lalucq (porte-parole de la campagne de Raphaël Glucksmann)
► Le retour de l’austérité en Europe ? Le débat entre Clément Beaune et Aurore Lalucq. Publié par Médiapart, le 06/06/2024.
Une « ballade chez les Kleptocrates » révèle que 40 % de l’argent sale passe par la City et les territoires associés à la G.B.
À l’approche des élections législatives en Grande-Bretagne, sous la pression d’O.N.G. et de quelques parlementaires très impliqués dans la lutte contre l’évasion et le blanchiment, la nature de certaines pratiques fiscales et financières est sérieusement mise en cause. Le Parti Travailliste est déjà donné gagnant. La défaite des Conservateurs, usé par quatorze ans de pouvoir et de scandales, est pronostiquée comme sévère, certains prédisant même que Reform U.K., le parti du démagogue d’extrême-Droite, pourrait menacer la formation du Premier Ministre Rishi Sunak pour la deuxième place…
Un excellent article du Guardian, publié le 23 mai, détaille la « tournée » proposée aux médias par Margaret Hodge, vénérable figure du Parti Travailliste. Cette infatigable combattante pour la justice fiscale a passé une grande partie de sa carrière à combattre la corruption et la transformation de la City et de ses satellites, dont les Iles anglo-normandes, en bases de blanchiment, notamment pour les kleptocrates et oligarques du monde entier dont elle se plaît à faire découvrir leurs somptueuses résidences londoniennes… Aussi marque t-elle des arrêts devant des maisons luxueuses du riche quartier de Kensington liées à des personnalités étrangères comme Sege Lavrov, le Ministre de Poutine ou Ilham Aliyev, le Président de l’Azerbaijan, dont l’accès est protégé par des gardes privés à l’aspect redoutable… C’est, à chaque fois, l’occasion, dit-elle, de « discuter de l’origine de ces propriétés, de leur mode d’acquisition, et, plus généralement, de l’impact de l’argent sale sur la politique et l’économie de la Grande-Bretagne, corruption comprise ». Elle souligne le rôle joué par les trusts et les coquilles vides pour dissimuler l’origine des fonds utilisés pour acquérir ces biens à prix d’or, la plupart situés dans des paradis fiscaux liés directement à la City. Elle insiste pour rappeler que ces résidences ne sont que « la partie émergée de l’iceberg de l’argent sale qui circule dans l’immobilier britannique » et qui contribue à la cherté des logements dans la plupart des métropoles du pays. Elle met en évidence le rôle joué par les Dépendances de la Couronne (Jersey, Gibraltar, l’Île de Man etc.) dans les circuits de blanchiment de l’argent d’origine douteuse jusqu’à son introduction dans ce patrimoine immobilier.
Le sous-secrétaire d’état aux Affaires Étrangères, Andrew Mitchell, a dû admettre récemment que 40ù de l’argent sale en circulation dans le monde passait à un moment ou à un autre par la City de Londres ou/et des territoires dépendant du Royaume-Uni. Il ne doutait pas que ces sommes provenaient pour bonne part de la corruption du monde des affaires en Afrique, notamment, mais aussi de politiques corrompus ou de seigneurs de la guerre alimentant des conflits à partir de la vente de « diamants du sang » par exemple…
Des études menées par l’Université de Warwick et la London School of Economics (LSE) ont révélé que plus de 70 % des propriétés du Royaume détenues par des compagnies étrangères (overseas companies) l’étaient sans que l’Administration fiscale n’ait connaissance de l’identité réelle de leurs propriétaires effectifs… On parle de 109,000 résidences sur 152,000. Les Travaillistes ont promis, s’ils étaient élus, d’y mettre bon ordre. Wait and see...
► ‘Sorry, no one is in’: few are at home for Margaret Hodge’s ‘kleptocracy walking tour’. Publié par The Guardian, le 23/05/2024. (En anglais)
Les habitants les plus riches de Jersey révélés ? Les plus visibles seulement !
C’est devenu un des « marronniers » du journal local : Comme chaque année à la même époque, le Jersey Evening Post (J.E.P.) vient de publier un article donnant, chiffres à l’appui, la liste des résidents jersiais les plus prospères. Un peu blasé, le bon peuple lit cela avec un détachement souriant sachant combien les deux mondes vivent à des années-lumières l’un de l’autre, même s’ils partagent un minuscule territoire. Certains espèrent toujours et encore qu’à défaut de rejoindre un jour l’autre monde ils bénéficieront du fameux « ruissellement » qui justifie, au fond, leur apathie. D’ailleurs, le J.E.P., reprenant les termes du Sunday Times ne manque pas de le leur rappeler : « Thousands of British livelihoods rely on the super-rich to some extent » (Des milliers de foyers britanniques dépendent dans une certaine mesure de ces super-riches). Puisqu’on se tue à vous le dire…
En fait, le J.E.P. « pioche » dans la liste annuelle publiée depuis 36 ans par le Sunday Times « The Sunday Times Rich List », ce qui fait que beaucoup de très riches résidents jersiais ou guernesiais ne figurent pas dans la liste, leur identité réelle étant dissimulés derrière des « véhicules » (« Special Purpose vehicles ») assurant une opacité totale ou des trusts découplant la gestion effective de leurs biens de leur propriété effective…
Au final, on retrouve quasiment les mêmes chevaux de retour, l’ordre d’arrivée variant quelque peu selon les aléas de l’économie ou de la Bourse.
Leur trait commun est cette année encore un enrichissement démesuré, surtout si on le compare aux difficultés grandissantes de la plupart des Jersiais. Ainsi en est-il du Numéro 1 de la liste, Glenn Gordon, président de la compagnie de whisky du même nom, dont la fortune est estimée à 5,619 milliards de £, sa fortune familiale s’étant accrue de plus d’un milliard de £ depuis la parution 2023 de la même liste. À votre santé !
Le numéro deux, le couple Chris and Sarah Dawson, négociants en automobiles, quoique plus modeste (tout est relatif) a vu, lui aussi, sa fortune s’accroître de 475 millions de £ pour atteindre quand même 2,5 milliards de £, l’épouse se voyant gratifiée d’un impressionnant dividende de 141 millions de £.
La déception au sein de cette liste vient de l’absence, pour la première fois, du nom de Barclay. Certaines et certains se rappelleront des démêlées des deux frères jumeaux Barclay avec le Seigneur de l’Ile de Sercq lors de leur installation en 1993 sur l’ilot de Brecq’hou. Longtemps donateurs du Parti Conservateur, proches de Margaret Thatcher, ils ont fait fortune dans l’immobilier, l’énergie et le transport maritime avant d’acquérir des hotels, des casinos et surtout le prestigieux quotidien conservateur The Daily Telegraph. Ils ont longtemps fait partie des 30 premières fortunes britanniques.
Ces partisans du Brexit ont su placer leur argent offshore, notamment aux Bermudes, loin des rivages de sa Gracieuse Majesté; d’ailleurs leurs noms apparaissent dans les Paradise Papers en 2017 (Voir The Brexiters who put their money offshore). Mais depuis la mort de l’un des deux frères, David, en janvier 2021, rien ne va plus... Et, pour la première fois, le J.E.P. doit quasiment s’excuser d’être dans l’incapacité de donner à ses lectrices et ses lecteurs l’estimation de la fortune associée au nom Barclays « du fait d’incertitudes concernant leur niveau de richesse ». Sic transit...
► Jersey's richest residents revealed. Publié par le Jersey Evening Post, le 17/05/24. (En anglais).
À Saint-Malo, un beau joujou abrité dans le port- On admire vraiment ?
Sous un titre joliment trouvé « L’Indiscrétion », Ouest-France Saint-Malo publiait le 8 avril un article illustré de la superbe photo d’un non moins superbe yacht, dernière génération, baptisé l’Ultra-G. Ce navire était venu trouver asile pour « se mettre à l’abri à cause du vent » indiquait la capitainerie. Malicieusement le rédacteur concluait ainsi son article : « S’il navigue sous pavillon des Îles Marshall, micro-état situé dans l’océan Indien, sous tutelle des États-Unis, « cela ne dit en rien la provenance des propriétaires »…
Le Malotru n’a pas de scoop à révéler concernant ces derniers, mais une petite recherche nous apprend très vite beaucoup de choses sur ce navire assez représentatif d’une de nos cibles en matière d’évitement fiscal, les pavillons de complaisance.
Force est de reconnaître que depuis quelques années Saint-Malo déploie le tapis rouge pour ces navires, du « petit » yacht comme celui-ci (60 m de long quand même) au gros paquebot déversant ses croisiéristes sur le quai malouin comme les mêmes paquebots déversaient les riches européens à Saïgon au temps des colonies. Pour rappel, Saint-Malo, qui bénéficie de sa proximité avec le Mont Saint-Michel aux yeux de la clientèle américaine, a accueilli 40 escales en 2022 et ce chiffre va croître…
Concernant l’Ultra G, on pouvait découvrir - grâce au tracking AIS - qu’il avait rejoint Dubaï via l’Espagne. On pouvait apprendre de son constructeur néerlandais que, grâce à quatre moteurs diesel très puissants – et très polluants- (5500 chevaux), il peut atteindre 37 nœuds en mer. Son équipage (13 personnes) peut accueillir à bord 12 passagers très confortablement dans cinq suites individuelles, avec jacuzzi, pont en teck, coque et superstructure en aluminium, classé dans le top 5 % des navires de sa catégorie… Bref, un beau joujou !
Moins séduisant, cependant, est la réalité qu’illustre ce beau bateau, celle des pavillons dits « de complaisance », définis ainsi par la Fédération Internationale des salariés du transport (I.T.F) : «le pavillon d'un navire pour lequel la propriété réelle et le contrôle se situent dans un pays autre que celui du pavillon sous lequel il est immatriculé. » Cette définition ne vous rappelle rien ? C’est précisément celle qui décrit... un paradis fiscal. De nombreux pays exercent d’ailleurs les deux activités comme le Panama, Malte, l’Ile de Man, et, de façon moins marquée les Iles anglo-normandes. Aujourd’hui, l’ensemble de ces pavillons représentent plus de 70 % du tonnage total de la marine marchande. Voir ci-dessus la tentative d’Irish Ferries et de P&O d’user des législations qu’ils permettent pour le « Droit » du travail, en particulier…
Les Iles Marshall, pavillon de rattachement de l’Ultra-G, sont parmi les 5 premiers pour l’immatriculation des yachts privés, avec près de 500 yachts inscrits (Source : Boat Pro). Ces petites Iles sont passées en seconde position en 2017 des flottes marchandes mondiales.
Alors, ce yacht, on l’admire toujours ?
► À Saint-Malo, un imposant yacht dernière génération abrité dans le port. Publié par Ouest-France, le 08/04/2024.
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