Eléments d'actualité fiscale - Octobre, Novembre 2024

Malte face à la justice européenne, évasion fiscale aux Pays-Bas : Atos & Netflix, détournement des sanctions sur le pétrole russe, Alexis Kohler, avocats suisses condamnés pour blanchiment d'argent russe, l'argent de la drogue Marseillaise à Dubaï.

Bonne lecture, bonne fin d’année...

 MALTE (Et si l’U.E. se portait mieux sans Malte ?)

Une tribune parue dans Le Monde du 16 octobre, rédigée par un professeur de droit public à l’université Côte d’Azur, Jules Lepoutre, et un directeur de recherche émérite au CNRS, Patrick Weil, met à nouveau en cause les autorités politiques de l’Ile de Malte, membre de l’UE depuis 2004 .

On se souvient du meurtre de la journaliste Daphne Caruana Galizia (tuée en octobre 2017 dans un attentat à la voiture piégée) qui enquêtait sur les turpitudes financières des proches du premier ministre d’alors, Joseph Muscat. La journaliste enquêtait notamment sur la corruption qui entourait l’attribution des fameux “passeports en or” permettant à des kleptocrates russes, par exemple, de blanchir leur butin à Malte et de devenir citoyens de l'U.E. La journaliste dénonçait ce dispositif copié sur un modèle pratiqué dans les Caraïbes, à Saint-Kitts-et-Nevis ou à Antigua-et-Barbuda.

Un film réalisé en 2021 par Jules Giraudat, Malte au nom de Daphné évoque ces faits et son travail. Et il n’a rien perdu de sa pertinence : Il apparaît, en effet, que Malte, depuis 2014, vend sa nationalité et donc, avec elle, la citoyenneté européenne, pour un peu moins de 1 million d’euros à condition de pouvoir justifier d’une résidence sur l’île. Ce qui permet de profiter d’une fiscalité très favorable. D’ailleurs beaucoup de ces « résidences » sont en réalité des boîtes aux lettres, à l’image des fameuses plaques de cuivre qui intriguent les visiteurs sur les portes de certaines résidences jersiaises ou luxembourgeoises.

L’affaire va prendre quelque temps mais la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par la Commission européenne d’un recours contre Malte pour ces pratiques, enfin ! Mais l’avocat général de la Cour de justice de l’U.E. assure que « Malte peut bien vendre sa nationalité car rien ne contraint les États membres dans les règles relatives à l’octroi de leur nationalité ». Cela, assurent les deux auteurs de la tribune publiée par Le Monde, ne préjuge pas de la décision finale de la Cour. Mais cela donne une tendance, car les conclusions de l’avocat général sont le plus souvent suivies par les juges européens.

En rappelant que « cet achat est un moyen d’accéder à la citoyenneté de l’UE, que possèdent tous les ressortissants des États membres et qui donne droit à la libre circulation et à la libre installation sur tout le territoire de l’Union, ainsi que des droits politiques aux élections locales et européennes » les deux auteurs soulignent que Malte «  monnaye ce qu’elle ne possède pas (…) violant ainsi le principe de coopération loyale prévu par l’article 4 du Traité sur l’Union européenne ». Leur conclusion, à propos d’une décision qui, selon eux, engage l’avenir de l’Europe, est que « si la Cour de justice de l’Union européenne accepte que l’on puisse tirer profit (au sens le plus pécuniaire du terme) de la citoyenneté européenne, c’est un coup terrible, et peut-être fatal, qu’elle aura décidé de donner à l’Europe comme communauté de valeurs et comme projet politique ».
►  Jules Lepoutre et Patrick Weil : « En vendant la citoyenneté de l'Union, Malte dégrade le statut de tous les citoyens européens.  Publié par Le Monde, le 16/10/2024. (Pour abonnés)
« Projet Daphne » : Malte, l'île des passeports en or. Publié par Le Monde, le 19/04/2018. (Pour abonnés)

FRANCE- PAYS-BAS

Pour payer moins d’impôts, Atos la multinationale du numérique veut opérer un montage juridique et financier en transférant ses actifs français dans une holding implantée aux Pays-Bas. Au moment où l’État français négocie encore le rachat d'activités jugées stratégiques, et après avoir reçu 50 millions de Bercy, les créanciers du groupe, qui sont aussi désormais ses principaux actionnaires, exigent de rapatrier dividendes et profits en Hollande pour payer moins d’impôts.

« L’intérêt de cette opération est de réduire la fiscalité sur les plus-values de cessions d’actions et sur les dividendes », décrypte un spécialiste en fiscalité internationale cité par l’article publié dans le magazine Capital du 25 octobre. Il s’agit d’opérer un montage juridique et financier pour payer moins d’impôts. Une sorte de tour de passe-passe « toléré » pour accompagner un plan de restructuration (validé par le Tribunal de commerce) visant à alléger la dette globale de l’entreprise, qui s’élevait à près de 5 milliard d’euros.

Sans délocaliser ses activités l’entreprise envisage de supprimer près de 400 postes en France d’ici 2 ans. Il y a quelques mois, précise l’article de Capital, « Bruno Le Maire avait consenti un chèque de 50 millions, sous forme de prêt, pour redonner un peu d’air à son ex-fleuron à bout de souffle. Et aujourd’hui, c’est son successeur Antoine Armand qui est entré en négociation avec le groupe français pour sauver ses activités jugées les plus sensibles, en particulier le calcul haute-performances, les systèmes d’écoutes et certaines activités de cyber-sécurité ».

On a là un cas d’école où intérêts financiers des actionnaires et instruments de souveraineté divergent, menant à des chantages et à des compromis où pression des lobbys et arbitrages politiques entrent en jeu. On se rappelle qu’Édouard Philippe, par exemple, avait rejoint le conseil d’administration d’Atos entre 2020 et 2023…

Bercy commente peu mais une décision du ministère des Armées vaut bien des discours : Après avoir créé l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense, le ministère a lancé un appel d’offres pour l’achat d’un supercalculateur. Selon l’article de Capital, « Atos a participé à l’appel d’offres mais c’est finalement le duo franco-américain formé par Orange et Hewlett-Packard qui a raflé le contrat, estimé à une centaine de millions d’euros. »
Atos : après avoir reçu 50 millions de Bercy, le groupe crée une holding fiscale aux Pays-Bas. Publié par Capital, le 25/10/2024. (Pour abonnés)
Atos : supercalculateurs, cybersécurité… Ces business sensibles que l'Etat entend racheter. Publié par Capital, le 29/04/2024. (Pour abonnés)

RUSSIE- DUBAÏ-SUISSE

Une enquête du « Monde » révèle un système de contournement à grande échelle des sanctions contre la Russie via Dubaï et la Suisse.

Dès l’agression russe en Ukraine, l’Union européenne (UE), les États-Unis et le G7 ont émis des sanctions à l’encontre de Moscou visant à réduire ses exportations de pétrole et les recettes qu’en tire Poutine pour financer son effort de guerre. En réaction, ce dernier s’est lancé dans un vaste système de contournement de ces sanctions afin d’en réduire l’impact sur son économie. C’est naturellement vers une constellation de sociétés à mi-chemin de ces activités opaques et du monde « légitime » des banques et des négociants en matières premières qu’il s’est tourné.

Une des plus actives se trouve être basée à Genève et à Dubaï (installée dans la Platinum Tower de Dubaï), Coral Energy, qui avait déjà des liens avec la Russie avant le conflit. L’enquête du Monde vient démentir ses allégations selon lesquelles elle avait mis un terme à ces liens. On y découvre les lacunes du dispositif mis en place pour réduire drastiquement les exportations d’hydrocarbure russe par des prix plafonds. Ce principe du« capping » fixe un prix plafond de 45 dollars/41,60 euros par baril de naphta au-delà desquels la Russie ne peut pas vendre son pétrole sur les marchés internationaux. La Russie de Poutine et ses complices s’efforcent donc de dissimuler l’origine des hydrocarbures qu’ils exportent via un système de « blanchiment » de ces hydrocarbures. Et ça marche...

La même enquête met à jour, en effet, tout un système très efficace fondé - à partir de sociétés offshore - sur, notamment, une flotte de navires grecs vendus à la Russie. Ces navires fantômes sous pavillon de complaisance permettent des transbordements de cargaison effectués au large, loin des côtes. L’article donne l’exemple spectaculaire d’une rencontre entre deux de ces navires, l’Osaka et le Marlin-Lome, immortalisée sur des images satellites. C’est ainsi que « du naphta russe « blanchi » a été revendu à l’un des plus grands groupes de courtage pétrolier du monde, le suisse Trafigura, avant d’être livré en Corée du Sud ». Selon cette enquête, « entre février 2023 et février 2024, au moins 41 cargaisons de naphta russe ont été ainsi vendues par Coral à Trafigura, dont le chiffre d’affaires n’a d’ailleurs pas été entamé par les sanctions. »

Ce que les documents obtenus par Le Monde révèlent aussi et surtout c’est que le négoce de Coral Energy a été nourri par le financement de banques européennes : Parmi celles-ci on trouve l’autrichienne Raiffeisen Bank, la suisse UBS, mais aussi la bien française Société Générale avec un encours qui frôle les 52 millions d’euros. Et Coral voit sa prospérité également assurée par les achats de plusieurs majors pétrolières, dont le français TotalEnergies.

Pendant que les bombes tombent sur l’Ukraine, Etibar Eyyub, le tradeur à l’origine de Coral et de ces belles pratiques, voyage en jet privé entre Dubaï, Moscou et la Suisse. La presse suisse révèle qu’il vient d’acquérir un terrain à Cologny, l’une des communes les plus huppées du canton de Genève, pour y construire une luxueuse demeure avec vue sur le lac Léman…
Pétrole russe : trop de brèche dans les sanctions. Publié par Le Monde, le 31/10/2024. (Pour abonnés)
Les flottes fantômes, atout stratégique de la Russie pour écouler son pétrole sous sanction. Publié par Le Monde, le 30/10/2024. (Pour abonnés)
Enquête vidéo : Sur la piste d'une livraison clandestine d'hydrocarbures russes. Publié par Le Monde, le 30/10/2024. (Pour abonnés)

U.S.A. – SUISSE - RUSSIE

Les États-Unis punissent pour la première fois des avocats suisses pour blanchiment d'argent russe.

Depuis des mois, les responsables américains exigent que la Suisse comble une faille qui permet aux avocats locaux de créer des sociétés écrans pour échapper aux sanctions. À défaut de retours positifs, Washington, pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, a puni deux avocats suisses qui avaient contribué à dissimuler leurs avoirs.

« Andres Baumgartner et Fabio Libero Delco de Dietrich Baumgartner sont les principaux gestionnaires des actifs russes et jouent un rôle important dans l'organisation des affaires et des flux de trésorerie des Russes en Suisse et au Liechtenstein », a déclaré l'Office américain de contrôle des avoirs étrangers (OFAC).

L'ambassadeur américain dans le pays, Scott Miller, a déclaré que la Suisse « peut et doit faire davantage pour garantir que son cadre juridique ne soit pas utilisé à des fins d'activités financières illicites… et que les avocats agissant en tant qu'intermédiaires non financiers soient soumis aux règles anti-blanchiment d'argent ».

Le Parlement suisse discute actuellement d'un projet de loi en vertu duquel les entreprises seront tenues de fournir des informations sur leurs véritables propriétaires et les avocats seront tenus de signaler les transactions suspectes sous peine de poursuites pénales. Mais il a peu de chance, selon un haut responsable politique, en raison de la résistance à toute réglementation susceptible de nuire à l'attractivité du système financier suisse.

Incidemment, on apprend dans cet article qu’au dernier décompte, il y avait environ 33 000 sociétés écrans enregistrées en Suisse, soit une pour 37 habitants rien qu'à Genève, selon Bloomberg.
Les Etats-Unis punissent pour la première fois des avocats suisses pour blanchiment d'argent russe. Publié par @_EricLecomte_ sur X,  le 30/10/2024.

« DUBAÏ UNLOCKED »

Des quartiers nord de Marseille aux quartiers chics de Dubaï, l’argent de la drogue.

Extraordinaire enquête que celle menée par deux journalistes du Monde sur une bande de trafiquants des quartiers nord de Marseille qui ont investi plus de 20 millions d’euros dans des appartements luxueux d’un des quartiers les plus chers de Dubaï. Dans le cadre de l’investigation collaborative Dubai Unlocked, ils ont suivi la piste qui les a conduits des tours des quartiers nord de Marseille à pas moins de… 45 appartements à Dubaï. L’acquisition quasi simultanée de trente-sept appartements par des figures de la cité des Oliviers, en 2021, a été le point d’orgue.

C’est dans un quartier de Dubaï parfois qualifié de « kilomètre carré le plus prestigieux du monde » qu’ils se sont attardé sur deux gratte-ciel de verre et de béton baptisés « Act One » et « Act Two » où réside un petit groupe de français au milieu d’autres copropriétaires de nationalités diverses. Il se trouve que ce contingent regroupe plusieurs figures locales du narcotrafic marseillais. Le Parquet confirme que l’Office anti-stupéfiants (Ofast) mène ses investigations sur des faits de « blanchiment de trafic de stupéfiants et de blanchiment en bande organisée à l’encontre de plusieurs membres d’un important réseau de trafic de cannabis ».

À Dubaï, révèlent les deux journalistes et leurs confrères de cette enquête collaborative, « un ticket d’entrée de 500 000 euros d’investissement permet de bénéficier d’un permis de résidence de dix ans, valable également pour sa famille. Un sésame utile pour espérer rester à distance de la justice française ». Et, aussi, un blanchiment via un investissement dans la pierre !

Parmi les méthodes assurant ces types de blanchiment on retrouve le traditionnel hawala (qui signifie transfert ou virement en arabe). Il ne nécessite aucun déplacement et permet de mobiliser des millions d’euros par jour. Le Coran condamne l’usure mais favorise la pratique du hawala, fondé historiquement sur la confiance. Sans utiliser le terme, l’article du Monde en rappelle le mécanisme et en montre le dévoiement dans notre système mondialisé d’aujourd’hui :

« Le principal stratagème pour convertir l’argent de la drogue en investissement immobilier à Dubaï reposerait sur un système de compensation. « Le cash ne quitte pas forcément la France », précise un enquêteur spécialisé. Le principe est le suivant : les trafiquants se débarrassent de leurs petites coupures au profit de chefs d’entreprise friands d’argent liquide pour rémunérer leurs travailleurs non déclarés ; en échange, ces dirigeants effectuent des virements qui arrivent à Dubaï, « grâce à un circuit de fausses factures et de sociétés-écrans ».  »

L’article rappelle, en conclusion, le manque de volonté des Émirats Arabes Unis en matière de coopération judiciaire. Bien des demandes d’arrestation et d’identification du patrimoine restent sans réponse. On attend beaucoup de l’installation récente d’un magistrat de liaison français à Dubaï. Le dossier « marseillais » sera l’occasion de tester le degré de coopération réelle des autorités judiciaires de la fédération émiratie…
Des tours de Marseille aux gratte-ciel de Dubaï, sur la piste de l'argent de la drogue des quartiers nord. Publié par Le Monde, le 04/11/2024. (Pour abonnés)

La cour d’appel de Paris confirme les poursuites contre Alexis Kohler

Pour rappel, le bras droit d’Emmanuel Macron est mis en examen depuis 2022 pour prise illégale d’intérêts pour avoir participé comme haut fonctionnaire de 2009 à 2016 à plusieurs décisions relatives à l’armateur italo-suisse dirigé par les cousins de sa mère, la famille Aponte. Anticor était partie civile à l’origine de la relance des investigations après le classement d’une enquête préliminaire en août 2019.

La cour d’appel de Paris a écarté mardi 26 novembre la prescription soulevée par le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et confirmé les poursuites le visant pour prise illégale d’intérêts dans l’enquête sur ses liens familiaux avec l’armateur MSC, ont indiqué à l’AFP plusieurs sources proches du dossier.

Cette décision, confirmée de source judiciaire, pourrait faire l’objet d’un pourvoi d’Alexis Kohler et des deux autres mis en cause. Avant même l’audience, l’entourage d’Alexis Kohler parlait déjà de se pourvoir en cassation.
La cour d’appel de Paris confirme les poursuites contre Alexis Kohler. Publier par Mediapart, le 26/11/2024. (Pour abonnés)

Une enquête du Parquet national financier français contre Netflix pour blanchiment de fraude fiscale aggravée et de travail dissimulé en bande organisée

Sous le titre Comment Netflix utilise les Pays-Bas pour accélérer son optimisation fiscale, Le Monde retrace jusqu’à aujourd’hui l’enquête lancée en 2022 par le PNF (Parquet National Financier) en liaison avec Eurojust, l’unité de coopération judiciaire européenne. Certains médias néerlandais avaient alerté sur les constructions complexes mises en place par l’entreprise pour éluder l’impôt. Cas d’école que ces montages utilisant prix de transfert et versements à filiales artificielles de frais artificiels pour déduire les profits imposables. L’article détaille ainsi ce type d’opération :

« Une enquête conduite par l’ONG britannique TaxWatch en 2018 révélait que l’entreprise américaine avait réalisé cette année-là un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros et payé seulement 4 millions d’euros d’impôts aux Pays-Bas... Le système fiscal en vigueur dans le royaume néerlandais permet aux entreprises étrangères d’éviter une double imposition et de transférer de l’argent vers d’autres de leurs filiales, ce qui réduit leur bénéfice déclaré, donc leurs impôts. Les filiales nationales de Netflix transfèrent ainsi des « frais de licence » vers Netflix International BV, qui les envoie à son tour vers les États-Unis .»

On apprenait aussi qu’en 2018 et 2019 Netflix Services France n’aurait payé que 981 000 euros d’impôts, alors que l’on recensait à l’époque 7 millions d’abonnés dans l’Hexagone. Sans commentaire. Amateurs de Netflix, à suivre…
Comment Netflix utilise les Pays-Bas pour accélérer son optimisation fiscale. Publié par Le Monde, le 06/11/2024. (Pour abonnés)

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