Une coupe empoisonnée et une drahison
- Le 13/12/2022
- Dans Economie / Finance
Magouilles politico-financières de la coupe du monde de football au Quatar et le clair-obscur sur les tableaux de Patrick Drahi.
Coupe du Monde de football au Quatar et implications françaises au sommet
Synthèse d'articles divers (Le Monde, Médiapart, Le Canard Enchaîné, etc.)
On a la quasi certitude désormais que cette Coupe fut attribuée au Quatar à l'issue de magouilles politico-financières dans lesquelles notre beau pays s'est notoirement illustré. Trois enquêtes judiciaires ont été ouvertes aux États-Unis, en Suisse et en France pour « corruption », « trafic d’influence » et « association de malfaiteurs ».
Dans ce canevas de barbouzeries l’un des personnages pivots est un ancien président de la République qui n’a toujours pas été entendu. Il n'a pas ménagé ses efforts pour faire aboutir la vente très lucrative du PSG dont le propriétaire et ami ne trouvait pas d’acheteur. Depuis, l’ami en question, Sébastien Bazin (ancien dirigeant du fonds Colony, qui a vendu le club du PSG au Qatar) est devenu le PDG d’Accor, l’ancien président de la République est devenu administrateur du groupe, et Accor sponsor du PSG. Enfin, Accor s'est retrouvé gestionnaire des 60 000 chambres de la Coupe du Monde au Quatar. Beau jeu de passes, belle équipe. On attend avec impatience les finales… judiciaires.
Comment ne pas payer d’impôts sur la transmission du patrimoine : Patrick Drahi dans ses œuvres… d’art et de censure
Pour rappel, P. Drahi – onzième fortune de France selon le magazine Challenges et propriétaire de BFM-TV et SFR – est aussi endetté à hauteur de… 31 milliards d'euros (Le Monde, 2 décembre 20221) mais conserve l'appui des banques. Bref, un fameux « premier de cordée »…
Une enquête du Monde et du magazine suisse Heidi.news, publiée le 10 novembre 20222 a révélé que le magnat des médias et des télécoms avait usé et abusé de pratiques fiscales qui posent question au regard des réglementations européennes.
L'affaire aurait pu rester longemps dans l'opacité des circuits toujours prospères des cabinets spécialisés en gestion de fortunes personnelles qui alimentent les paradis fiscaux. Mais Le Monde et Heidi.news, à la suite du site Reflets.info3, ont, en raison de leur intérêt public, pris le risque d'exploiter des données issues d'un piratage par le groupe cybercriminel Hive sur Altice, la holding de Patrick Drahi.
P. Drahi souhaitait faire donation « indirecte », par dissimulation et « neutralisation fiscale », à ses enfants d' un portefeuille de plus de 200 œuvres d’art (cinq Picasso, onze Magritte, huit Chagall, un Modigliani, un triptyque de Bacon, deux sculptures de Rodin et autant de Giacometti…). Plus finaud que Bernard Arnault qui, il y a quelques années, après un arrangement avec les services fiscaux, avait dû renoncer à sa fausse domiciliation en Belgique pour se soustraire vraisemblablement aux obligations fiscales sur la transmission de patrimoine, Patrick Drahi a tenté de déplacer son immense collection vers des sociétés offshore.
Il importait d'agir juste avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation fiscale afin d'éviter plusieurs millions d’euros d’impôts au Luxembourg en corrigeant, notamment, l’évaluation de ses tableaux. On retrouve tous les ingrédients de l'optimisation liés à ce type de patrimoine artistique dont il est aussi un acteur notoire, P. Drahi ayant racheté la maison d’enchères Sotheby’s en 2019 : sociétés-écrans créées spécialement pour l’occasion dans un paradis fiscal et enregistrées, en octobre 2021, à Saint-Vincent-et-les Grenadines (taux d’imposition des plus-values à 0 %), transferts discrets à partir du Luxembourg, conseillers suisses à l'oeuvre etc.; et, naturellement, une Fondation philanthropique à son nom pour les… bonne oeuvres. Les œuvres d'art, elles, transférées « virtuellement » aux sociétés-écrans n'ont sans doute pas bougé. Une bonne part est vraisemblablement en lieu sûr, peut-être dans le port franc de Genève, devenu La Mecque de ces heureux collectionneurs…
Incidemment, il est à noter que la justice – un tribunal… de commerce – a interdit au site Reflets.info de publier de nouveaux articles à propos d'Altice (SFR, BFMTV, etc.) la holding de P. Drahi. Le Monde a donc pris un certain risque en diffusant ces informations d'origine piratée, mais d'intérêt public évident. Cette « censure préalable » pose « problème pour tous les journalistes d’investigation, la plupart des documents qu’ils utilisent n’ayant pas été publiés ou communiqués par leurs propriétaires initiaux puisque cela leur pose un souci d’image », explique à l’Agence France-Presse (AFP) Antoine Champagne, le rédacteur en chef de Reflets.
On notera aussi qu'Altice partage le même avocat que Gaël Perdriau, Maire de Saint-Etienne, celui-là même qui a tenté, et réussi en première instance à – c'est une première en France – faire « censurer au préalable » Médiapart qui avait révélé son affaire de « chantage sexuel » sur un de ses élus et se préparait à diffuser d'autres infos sensibles…
Ces tentatives de détournement de droit de la presse, notamment via le recours à des tribunaux de commerce, pour empêcher de faire connaître des turpidudes, fiscales ou autres, risquent bien de se multiplier et de freiner, voire empêcher, le travail des journalistes d'investigation sans lesquels toutes les révélations et autres « leaks » de ces dernières années n'auraient jamais eu lieu…
Sources
1. Des Picasso dans les Caraïbes : les manœuvres de Patrick Drahi pour ne pas payer d’impôts sur ses œuvres d’art. Publié dans Le Monde, le 10nov 2022. ► Retour au texte
2. Quand la valeur des tableaux de Patrick Drahi varie en fonction du taux d’imposition, plutôt que du marché de l’art. Publié dans Heidi.news, le 10 nov 2022.
3. Comment la famille Drahi accumule des œuvres d’art. Publié sur Reflets infos, le 26 sep 2022 ► Retour au texte
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