Flamme olympique et flambeau sécuritaire

Le 1er juin, la flamme olympique fera brièvement irruption à Saint-Malo.
Citoyens et citoyennes passionné.e.s ou critiques, nous pouvons interroger les conditions du déroulement de cet évènement planétaire, souvent abusivement nimbé d’une aura frelatée suscitée par le travestissement d’un rite rapporté de l’antiquité grecque.

Cet évènement devrait être l’occasion de saluer les athlètes enthousiastes qui s’investissent dans des entraînements exigeants, s’imposent une discipline qui perturbe profondément leur vie personnelle ou professionnelle et qui peut générer autant de souffrances et de frustrations qu’elle peut apporter de bonheur et d’estime de soi, surtout quand on sait que certain.e.s sont amené.e.s à mettre en ligne des demandes de financements participatifs pour vivre le temps de leur préparation.

Mais sous ses atours de grand-messe médiatique, l’évènement ne répond-il pas essentiellement aux attentes des passionné.e.s compulsifs de l’exploit sportif, des branché.e.s du dépassement de soi, des fans des grands rassemblements prétendument fusionnels, ou des suiveurs et suiveuses invétéré.e.s de tous les spectacles desquels il convient de dire « J’y étais ».

Mais sous l’aura, l’horreur. Depuis plusieurs décennies, le pouvoir a voulu, arguant du risque que représenterait pour l’ordre public le caractère massif de ces rassemblements, nous habituer progressivement au contexte autoritaire et sécuritaire que nous vivons maintenant chaque jour : répression des mouvements sociaux, criminalisation des militants, judiciarisation de la liberté d’expression, contrôle sourcilleux des médias et réglementation toujours plus contraignante des activités des associations. La presse rapporte, semaine après semaine, les dernières innovations en matière de maintien de l’ordre, de surveillance renforcée de la population ou de restriction des libertés de circulation. Et, cerise sur le gâteau de ces Jeux Olympiques, le déplacement forcé de certaines catégories sociales défavorisées qui, pour n’avoir d’autre lieu où vivre que la rue, sont priées manu militari d’aller visiter la France profonde. Il s’agit de ne pas choquer les centaines de milliers de touristes fortunés qui s’offriront le plaisir de se retrouver entre eux dans un pays soucieux de cacher la honte de cette misère d’une partie de son peuple.

Quoi qu’il en coûte, l’État se donne de nouveaux moyens : drones de surveillance, obligation de QR codes géolocalisés mis en place à Paris, mobilisation exceptionnelle des forces de maintien de l’ordre et de multiples officines privées (35.000 policiers et gendarmes français seront mobilisés, auxquels s'ajouteront 18.000 militaires tricolores), contrôles d’identité renforcés pour la cérémonie d’ouverture… Qui sait ce qu’il en restera de ces dispositions présentées naturellement comme provisoires, justifiées dit-on par l’importance de l’enjeu, mais dont on sait par expérience que, comme certains bâtiments du même nom, elles risquent fort d’être utilisées bien au-delà des limites prévues. Rappelons-nous simplement que le 14 février 2019 la France a été condamnée par l’Union Européenne « pour usage disproportionné de la force ». Quant au groupe d’experts des droits de l’Homme des Nations Unies, il s’est inquiété des blessures graves causées par un usage disproportionné d’armes dites « non létales ». Et pourtant rien n’a changé.

Plus inquiétant encore, ces rassemblements massifs sont l’occasion d’expérimenter de nouvelles technologies de vidéosurveillance. On voudrait peut-être suivre les exploits de ces athlètes valeureux dans les moindres détails ? Grave erreur. Réglons la focale. La CNIL enquête sur l'utilisation non déclarée par la police et la gendarmerie d'un logiciel de vidéosurveillance de reconnaissance faciale. Le comité des droits de l’Homme des Nations Unies reconnaît d'ailleurs que les technologies de surveillance peuvent porter atteinte à la vie privée et avoir un effet dissuasif. Le 20 janvier 2022, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision : il valide l’utilisation des drones de surveillance par la police (sauf pour la police municipale), même s’il censure la procédure d’urgence qui permettait de déployer les drones sans autorisation préalable du préfet. Certes, il faudra justifier que les drones sont le seul moyen d’atteindre les objectifs visés. Sauf que… la liste des conditions dans lesquelles leur utilisation peut être autorisée est très large et ne protège pas de la possibilité d’abus. Et si l’article 8 interdit la captation d’images dans les domiciles, il reconnaît aussi qu’ils peuvent être filmés accidentellement. Il recommande seulement d’interrompre l’enregistrement ou de ne pas garder les images plus de 48h. Mais rien n’interdit que les drones puissent filmer d’autres lieux privés, notamment les bureaux.

Bien d’autres facettes pourraient faire l’objet d’analyses plus ciblées : Jeux olympiques et conflits, Jeux Olympiques et marchandisation, Jeux Olympiques et sport… Mettre en avant la question des libertés publiques sur lesquelles pèsent de réelles menaces est d’évidence une priorité compte tenu de l’arsenal législatif et réglementaire dont notre gouvernement se dote au fur et à mesure des critiques dont il est la cible.  Alors, restons vigilants. La flamme, pourquoi pas si certain.e.s s’en réjouissent, à condition qu’elle ne mette pas le feu aux poudres.

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