Ouvrons les yeux

Depuis plus d’un an, nous assistons à un véritable bouleversement de tout ce qui faisait une contestation sociale depuis Mai 68.

Les manifestations traditionnelles partisanes et déclarées ont laissé place à de nouvelles formes d’événements éphémères (occupations, manifestations sauvages, ouverture de tiers lieux, dégradations, actions de désobéissance civile …). Parce qu’une nouvelle frange de la population s’est emparée de la question politique et que cela remet en question radicalement toutes nos certitudes.

Cela manquait, les Gilets Jaunes l’ont fait : des espaces publics (les ronds-points) ont été réquisitionnés sans autorisation par des citoyens afin de refaire de la politique dans le plus pur style traditionnel. Fini la  « démocratie participative » et autres « grand débat citoyen » qui sonnent creux, place au réel. Des êtres humains, femmes et hommes, sans qualification politique, débattent et s’engueulent sur des thématiques de la vie quotidienne. Avec pour principale conclusion que la classe dominante économiquement, par le biais de son emblème Emmanuel Macron, est la cause de tous leurs maux. Un mouvement spontané, national mais totalement ancré dans le local avec de grands rendez-vous parisiens tous les samedis qui prennent d’assaut immédiatement l’ordre établi et mettent à mal les préfectures dans le maintien de l’ordre.
Le réveil citoyen tant attendu, le grand soir pour changer structurellement de modèle, le début d’un changement de société découlant des inégalités sociales par une population non-militante et non-représentée depuis trop longtemps. Oui, mais …


Nous n’avons pas assez vite décrypté la situation. Parce que trop nouveau, trop direct pour une majorité de la population, parce qu’éduqués aux médias dominants et habitués à ne pas trop remettre en cause notre confort intellectuel. Au lieu de simplement y aller, nous nous sommes posés la question de pourquoi nous devrions y aller. Puis la question est devenue une opposition entre différentes manières de fonctionner : les jaunes contre les verts, non-violence contre black blocs, manifestations syndicales contre actions non déclarées. Et la petite porte s’est refermée.

Nous sommes contraints aujourd’hui à repositionner notre engagement, notre militantisme, notre manière de penser dans un contexte inédit. La violence des réformes n’a d’égal que la violence des forces de l’ordre, la violence des mots choisis par nos dirigeants n’a d’égal que le déni sociétal dans lequel nous vivons. A court terme, des manifestations réprimées. A moyen terme, des services publics et des acquis sociaux, pour lesquels nos ainés se sont battus, démantelés et piétinés. A long terme, des événements naturels et humanitaires dramatiques en cascades sur une planète souillée. Voilà ce qu’un jeune peut voir de son futur dans le modèle actuel. Et cela à grands renforts de communication politique, médiatique, intellectuelle qui nous rappellera sans sourciller que la violence n’est pas systémique mais humaine, que l’ordre public doit être sauvegardé face à la barbarie, le cap maintenu pour notre propre bien collectif. Le cadre, les règles … Fixés par qui ? Et dans quel but ?
D’autres franges de la population à leur tour se lèvent et se radicalisent, les jeunes se battent auprès des anciens dans la rue pour les mêmes droits, les écologistes s’organisent et font barrière, les symboles du système capitaliste sont pris pour cible, les corps intermédiaires, associations et syndicats eux-mêmes, tournent leurs revendications vers LE modèle dominant, destructeur.


Ouvrons tous les yeux ! Le système économique est violent, les inégalités creusées depuis cinquante ans n’ont jamais été aussi importantes. Aujourd’hui, sous couvert d’arguments sécuritaires (l’état d’urgence est devenu la norme comme son nom ne l’indique pas), le champ des libertés individuelles s’est restreint considérablement. On peut être interdit de manifester sur présomption de complicité avec des casseurs. On peut être suivi, surveillé, condamné en tant qu’écologiste pour des actes même symboliques envers le monde agricole par la toute nouvelle cellule de la Gendarmerie nommée « Demeter ». On peut être fiché S pour des actions de désobéissance civile contre des entreprises privées coupables d’évasion fiscale et épuisant des ressources terrestres communes dans le but d’accumuler plus de richesses. La véritable violence n’est pas dans le camp de ceux qui manifestent.

De pareils propos serviront sans doute à certains à légitimer les violences policières, un régime répressif contre les « casseurs ». Il faut bien laisser les gueux se battre dans la boue et les élites débattre de leur sort. Les ex « gardien de la paix » devenus « force de l’ordre », ce service public au même titre que les hôpitaux et l’école, ferait bien de se rendre compte qu’une milice au service d’un gouvernement n’est plus là pour protéger les citoyens mais pour faire peur. Et que la peur ne peut in fine que déboucher sur plus de violence.

Le début d’une alliance rouge-jaune-vert le montre, nous savons aujourd’hui que le capitalisme est la cause principale de la plupart des dérives de notre monde. Les pistes de réflexion politique ne manquent pas pour réinventer de nouveaux systèmes où l’humain ne serait plus un facteur ou une ressource mais un élément interdépendant de son environnement, une cohabitation harmonieuse entre humains et avec les non-humains. En attendant, faisons simplement le lien entre toutes nos revendications personnelles et collectives pour en arriver à une unification de la lutte dans sa multiplicité de formes. Repensons autant nos formes de militantisme actuelles que notre manière de vivre. Dans la solidarité plutôt que dans l’incompréhension.

Attacpmj