Condor Ferries (Suite et fin ?)

  • Le 12/12/2015
  • Dans Local

Depuis plus d’un an, Le Malotru a eu à cœur d’informer ses fidèles lectrices et lecteurs de l’ « affaire Condor ». On se rappellera que nous avons démonté les schémas financiers de cette multinationale emblématique. Nous avons mis également en lumière le jeu savant qu’elle a organisé entre ses filiales, ses modes et lieux  de recrutement et d’emploi, ou les dispositifs d’enregistrement offshore de ses navires. http://www.malotru.org/blog/st-malo/condor-la-belle-affaire.html)

Un blocage pour ouvrir la discussion

Le témoignage de deux navigants nous a été précieux pour faire comprendre les enjeux de leur combat pour bénéficier, en particulier, d’une couverture sociale et de droits sociaux identiques à leurs collègues employés par des entreprises françaises. Rappelons que onze salariés de Condor Ferries avaient bloqué le Condor Rapide pendant deux semaines en février l’an passé. La CPAM menaçant de les radier du régime de la Couverture Maladie Universelle en janvier 2015, il était urgent d’agir.

On peut penser que nos articles (voir : http://www.malotru.org/blog/jersey/le-feuilleton-condor-suite.html)  repris et approfondis par Médiapart en février 2015, ainsi que nos échanges avec certains acteurs publics ont pu contribuer à « agiter le bocal »... Parallèlement à l’action engagée par les deux navigants aux Prud’hommes, les politiques (Gilles Lurton, mais aussi François .André et Jean-louis Tourenne) ainsi que la Préfecture et les ministères concernés se sont mobilisés.

 

Une malouine monte au créneau

Le débat s’est même invité en octobre 2015 au Parlement européen quand la vice-présidente du Groupe des Socialistes et Démocrates, Isabelle Thomas, a reconnu « avoir été convaincue qu’il fallait agir vite » après » avoir eu connaissance « des pratiques de la compagnie Condor Ferries, avec ses navires battant pavillon des Bahamas, et ses salariés sous contrat de travail des Iles Anglo-Normandes alors que l’essentiel de son activité est exercé dans les eaux européennes ». Cela a permis à l’élue européenne d’avancer des propositions pour tenter de s’opposer au dumping social à l’œuvre dans cette pointe avancée de la mondialisation. Conditionner, par exemple, les aides publiques à l’embauche de marins européens. Beaucoup s’étonneront que cela ne soit pas déjà le cas.

 

L’Union Européenne dans le flou

A terme, bien sûr, toutes ces propositions devront s’inscrire dans un cadre législatif européen encore à définir. On peut déjà imaginer le rôle qu’y joueront certains lobbies ; mais il est aussi question de réintroduire un projet de directive « Manning » de 2004 qui envisageait de « voir s’appliquer le droit national aux conditions les plus protectrices lorsque le transport maritime relie deux états membres ». Oui, vous avez bien lu : « protectrices »...

 Dans le cas présent, que peut signifier -pour la compagnie Condor Ferries- la notion d’état membre, quand ses navires sont enregistrés aux Bahamas et qu’elle pratique un jeu savant entre des filiales situées dans des paradis fiscaux ?

La notion de travailleur maritime européen elle-même reste floue : Quand les armateurs indiquent un chiffre légèrement supérieur à 450 000 salariés pour cette catégorie de personnel, les syndicats assurent que la moitié à peine des personnels remplit les critères d’éligibilité pour cette catégorie. Bref, on navigue vraiment en eaux troubles.

 

 

La position du député Gilles Lurton

Les mêmes eaux troubles paraissent caractériser la complexité des échanges parlementaires qui eurent lieu à l’Assemblée Nationale le 23 novembre à propos de la loi de Financement de la Sécurité Sociale. C’est dans ce cadre, en effet, que Gilles Lurton, député de la circonscription malouine, est intervenu sur ce dossier pour déposer un amendement proposant que les marins français navigant pour des pavillons étrangers soient affiliés au régime de l’ENIM (Etablissement National des Invalides de la Marine) plutôt qu’au régime général de la Sécurité Sociale.

 Les détails des échanges peuvent se retrouver dans le compte-rendu des débats de la séance de l’Assemblée Nationale. La lecture, il faut l’avouer toutefois, est malaisée du fait des nombreuses références aux discussions ayant eu lieu lors de l’examen en commission, ou au sein du Sénat qui s’était opposé aux propositions du gouvernement... La majorité sénatoriale considérait tout benoîtement que pour sauvegarder l’emploi, il fallait éviter aux employeurs de payer des cotisations sociales...

 G.Lurton aurait souhaité que l’affiliation ENIM restât optionnelle pour les armateurs étrangers. Il arrive que ces derniers, notamment dans les pays anglo-saxons, offrent des salaires plus élevés à leurs employés pour les inviter à rejoindre des assurances sociales et des pensions privées.

Le Député malouin aurait souhaité également une étude d’impact plus poussée selon différents scénarios envisageables, « une vision plus large de la situation ».  Mme Ségolène Neuville, Secrétaire d’Etat, chargée du dossier par Mme Marisol Touraine, lui donne l’assurance que l’inspection Générale des Affaires Sociales missionnée pour cette question lui transmettra ses conclusions.

 

Mais au final…

…La demande des salariés de Condor d’affiliation à l’ENIM est légalisée, en seconde lecture, sous la forme bien peu poétique des derniers mots du Compte-rendu officiel : « L’amendement N° 166 rectifié est adopté. L’article 19 est ainsi rétabli et les amendements N° 134, 51 et 124 tombent »...

 

A partir du 1/01/2017, l’employeur étranger de navigants français embarqués sous pavillon étranger devra donc financer à hauteur de 50% leur protection sociale, le reste étant prélevé sur leur salaire. Le diable étant dans les détails, il convient d’attendre les décrets d’application.

Des réglementations insuffisantes pour une activité mondialisée

Le syndicat CGT des marins du Grand Ouest se réjouit naturellement de cette issue qu’il interprète comme une occasion de « remettre de l’ordre dans le monde obscur du domaine maritime sous pavillon de complaisance ». Ouest-France (vendredi 11 novembre) pavoise en page de Saint-Malo : « tout le monde est content »...

Cette victoire prend place dans le combat incessant contre le dumping social et fiscal dont le monde maritime a toujours été la pointe avancée. « La France, observe P. Chaumette de l’Observatoire des Droits des Marins, se met en conformité avec la Convention de l’O.I.T de 2006 (« MLC 2006 ») privilégiant en matière de protection sociale la résidence habituelle plutôt que l’état du pavillon ».

Le Malotru qui depuis plus d’un an a contribué à diffuser l’information et à créer des rencontres autour de cette affaire à tous les niveaux salue la belle victoire et l’énorme courage des deux navigants à l’origine de cette réglementation. Une trentaine de leurs collègues de Condor devraient également en bénéficier.

Condor secu

Un blocage pour ouvrir la discussion

Le témoignage de deux navigants nous a été précieux pour faire comprendre les enjeux de leur combat pour bénéficier, en particulier, d’une couverture sociale et de droits sociaux identiques à leurs collègues employés par des entreprises françaises. Rappelons que onze salariés de Condor Ferries avaient bloqué le Condor Rapide pendant deux semaines en février l’an passé. La CPAM menaçant de les radier du régime de la Couverture Maladie Universelle en janvier 2015, il était urgent d’agir.

Le Malotru ne peut toutefois s’empêcher de regretter une nouvelle fois l’insuffisance des règlementations à l’échelle non seulement européenne mais à l’échelle « globale » pour une telle activité par nature mondialisée. Le marché libre des pavillons prospère plus que jamais, et notamment, celui des pavillons de complaisance. Cette véritable jungle, très comparable à celle des paradis fiscaux qui en abrite bon nombre, réduit considérablement le pouvoir de décision et de négociation des acteurs, sans parler des fiscalités qui s’y rattachent. Il suffit de songer, ici encore, à la Grèce et au cynisme de ses armateurs.

 Victoire d’un côté, alerte de l’autre

Sans aller très loin de Saint-Malo, ce cynisme et ce chantage au pavillon se retrouvent bien présents dans le conflit en cours dans l’armement breton Brittany Ferries autour du Normandie-Express qui navigue entre Cherbourg et Portsmouth. L’accord « hôtelier » a été signé fin novembre par la CFDT, syndicat majoritaire. Mais le blocage persiste sur l’accord conduite-pont et machines. Le projet d’accord porte sur les heures supplémentaires, les jours d’embarquement, les temps de travail et de repos.

Arme ultime dégainée par la Direction face aux représentants syndicaux? Le dépavillonnement du navire et son enregistrement sous pavillon... britannique, rien de moins. Aussi imparable qu’un clic d’ordinateur pour un « trader haute fréquence »... Chacun fait déjà ses comptes, si on peut dire : La Direction affirme qu’en passant sous pavillon de l’Union Jack, cela lui coûterait 20% moins cher. La CFDT-Officiers calcule qu’un tel dépavillonnement « coûterait 80 emplois de marins français à temps plein sur six mois »... Avis de tempête à l’Ouest ?