Projet retraites, une réforme qui va appauvrir les retraites

Quelques explications pour comprendre...


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Une réforme, qui touche tout le monde: presque 30 millions d’actifs et de chômeurs cotisent au titre de l’assurance-retraite, et 16 millions de retraités touchent une pension.

Alors que le projet va être présenté au Parlement pour être voté, on ne sait toujours pas combien coûtera la réforme? Comment sera-t-elle financée? Qui en seront les vrais perdants, et les gagnants ? Comment seront revalorisées les carrières des fonctionnaires pour que le niveau de leurs pensions ne dégringole pas? Sur quelle durée se feront les transitions? Comment la pénibilité sera-t-elle prise en compte? Pourquoi les entreprises emploieraient-elles plus de seniors qu’elles ne le font aujourd’hui ?

Seule certitude : la réforme impliquera de travailler plus longtemps pour espérer obtenir un niveau de pension comparable à celui des travailleurs partant actuellement à la retraite et la part des pensions dans les dépenses publiques n’augmentera plus. Et tant pis si d’ici 2050, le nombre des plus de 60 ans pourrait augmenter de 40%.

1. Verrouiller le système en imposant son équilibre : la règle d'or (dès 2025)

La mesure la plus importante de ce double projet de loi est la «règle d’or», consignée dans l’article 1 du projet de loi organique. Elle dit que le système n’a pas le droit d’être en déséquilibre sur une période de cinq années consécutives. Du coup, le système perd sa capacité à absorber les crises qui peuvent survenir, c'est à dire à maintenir les revenus des retraitéset leur capacité à consommer. Cette règle d’or, conjuguée au fait qu’on refuse toute augmentation de cotisation et qu’on a fait naître un déséquilibre dans le système, constitue un verrou, qui entraînera immanquablement une baisse des pensions.

En outre, nous passons d’un système à «rendement défini», c’est-à-dire un système où le niveau de pension est garanti, à un système à «cotisation définie», où l’absence de déficit est gravée dans le marbre. Cela amplifie la règle qui limite les pensions à 14% du PIB.

2. L’âge pivot, l'âge d’équilibre, ou comment ajuster les pensions à la baisse

Ces 2 âges sont un peu différents. Le premier est le moyen proposé pour faire baisser les pensions des personnes qui ne seront pas concernées par le système par points (celles nées entre 1960 et 1975). Le gouvernement veut faire 12 milliards d’euros d’économie sur cette génération, qui représente à peu près 4 millions de personnes. On garde le critère de durée de cotisation qui existe aujourd’hui –il faut avoir cotisé quarante-deux années –, mais on y ajoute un critère d’âge –partir à 64 ans. Un tel mécanisme diminue les pensions de quasiment tout le monde et permet de faire des économies de l’ordre de 5 à 8 % des droits à pension. Même ceux qui partiront à 64 ans seront perdants, car ils ne bénéficieront plus des surcotes auxquelles ils auraient eu droit dans le système actuel. C’est ce premier âge pivot qui est retiré du projet de loi, mais pourrait revenir par ordonnance pendant ou après le vote à l’Assemblée.

Le deuxième âge pivot, qu’on appelle plus souvent « âge d’équilibre », est celui qui sert de charpente au futur système par points. C’est l’élément qui permet d’ajuster les pensions à la baisse à mesure que l’espérance de vie augmente. Pour les gens nés en 1975, il y aurait un âge pivot à 65 ans. Ils seraient autorisés à partir en retraite avant, mais leur pension subirait une décote de 5 % par année manquante. Les gens nés dans les années 1990 auraient plutôt un âge d’équilibre à 66 ou 67 ans.

C' est la contrepartie du fait que le gouvernement entend plafonner à 14 % du PIB le montant total des cotisations retraite. Or les retraités seront de plus en plus nombreux. Nous avons aujourd’hui 20 % de la population âgée de plus de 65 ans et on s’attend à ce que cette proportion grimpe à 27 % en 2050. Si le montant de l’enveloppe n’évolue pas, nous avons simplement le choix entre partir plus tard et toucher moins chaque année. C’est exactement ce que prévoit l’âge d’équilibre.

C'est en plus une mesure inique: avec un âge pivot à 65 ans, un ouvrier qui commencerait à travailler à 20 ans et cotiserait 43 ans pourrait perdre 10% de sa pension à cause de la décote, quand un cadre démarrant à 24 ans aurait droit à un bonus de 10% en travaillant exactement la même durée (surcote puisqu'il partirait à 67 ans)! Et cela alors même que les cadres vivent plus longtemps (et en meilleure santé) que les ouvriers –à rebours du discours présidentiel promettant qu’un euro cotisé donnera les mêmes droits à la retraite pour tous, les premiers touchent donc au total plus d’argent que les seconds, pour chaque euro cotisé...
→ Le recul de l'âge d'ouverture des droits ampute gravement la retraite des catégories ayant l'espérance de vie la plus courte.

3. Une politique rendue nécessaire non par le déficit du régime de retraite, mais par la volonté de baisser les pensions.

Les dépenses de retraites aujourd’hui n’augmentent pas. Elles sont stables, voire en diminution du fait des réformes précédentes (depuis 1993). Le rapport du COR de 2018 montre que le système est à l'équilibre. Mais ce gouvernement a créé un déficit par des mesures d’exonération de cotisations sociales (non compensées par l'État depuis 2019) et va en créer davantage en supprimant des postes de fonctionnaires (cf le rapport du COR 2019). La solution simple serait de résorber ce déficit, mais le gouvernement a exclu l’augmentation des ressources. Alors qu'on a actuellement 153mds€ de réserves dans les caisses de retraites (fonds de réserve Jospin plus caisses complémentaires) !

4. Augmenter les cotisations, une solution qui n'augmente pas nécessairement le coût du travail

D'une part, pour les économistes, il est assez clair que les cotisations retraite sont toujours essentiellement supportées par les salariés. Lors des négociations de salaire en effet, les entreprises sont quasiment toujours capables de les répercuter sur les salariés, par exemple en refusant des hausses de salaire.

D'autre part, il n’existe pas de solution «gratuite» : soit on finance un système public pour maintenir les retraites à un niveau correct. Soit, dans toutes les entreprises avec un emploi assez stable, se développeront des retraites complémentaires par capitalisation (privées).

Autrement dit, il se passera ce qui s’est passé avec les complémentaires santé. L’État n’a pas voulu augmenter le financement de l’Assurance-maladie, résultat, il a rendu obligatoires des cotisations à des assurances privées. D’une manière ou d’une autre, il faudra cotiser plus, soit dans un système public, soit dans un système privé (avec des coûts de fonctionnement supérieurs).

Il faut avoir à l’esprit que le refus par principe d’augmenter les cotisations est très idéologique. Les ordres de grandeur de ce qu’il faudrait pour limiter la baisse des pensions, voire l’enrayer complètement, seraient de 0,2 point de cotisation supplémentaire par an (0,1 point pour l’employeur, 0,1 point pour le salarié). Mais le Medef le refuse.

5. La valeur du point, qui sert à calculer le montant des pensions retraite, serait indexée sur les salaires: une garantie ?

Cette indexation est un objectif fixé à l’horizon 2042, sauf dérogation... Autant dire que ce n’est pas une garantie très solide. Mais, surtout, la valeur du point ne garantit pas grand-chose dans un système avec un âge d’équilibre qui peut bouger. La valeur du point est garantie, certes, mais vous n’êtes pas sûr de toucher 100 % de votre point si vous deviez subir une décote en ne travaillant pas jusqu’à l’âge d’équilibre. En affichage, nous n’aurons pas touché à la valeur du point mais, en pratique, la valeur effective que vous touchez est beaucoup plus faible.

6. La loi garantit une pension à 85 % du Smic au minimum pour les salariés à taux plein, est-ce une réelle avancée?

Il y a là une usine à gaz. Le gouvernement prévoit de donner un stock bonus de points aux personnes qui, d’une part, auront atteint leur âge d’équilibre et qui, d’autre part, justifieront de quarante-trois années pendant lesquelles elles auront suffisamment travaillé pour accumuler assez de points. Si vous réunissez ces deux conditions, on vous complète votre stock de points pour que vous atteigniez 85 % du Smic.

Désormais, il faudra remplir cette double condition, alorsqu’aujourd’hui le minimum contributif est soumis à une unique condition : atteindre 67 ans. D’autre part, tout le monde ne serait pas éligible, loin de là, car l’essentiel des personnes qui sont concernées par les minima de pension n’ont pas de carrière complète. En réalité, la plupart des gens qui seraient éligibles à ces minima de pension auraient en réalité seulement droit à un pourcentage de ces 1 000 euros.

Rappel: promis en 2003 pour être effectif en 2008, le minimum de retraite à 85% du SMIC n'a jamais vu le jour!

7. Imaginons qu’une majorité de gauche arrive au pouvoir : avec un système de retraite universel par points, sera-t-elle empêchée de conduire une politique redistributive, de justice sociale, qui préserve le niveau de vie des retraités ?

On peut évidemment toujours faire de nouvelles lois qui changent le système mais, dans la manière dont le système par points a été pensé, chaque génération cotise pour elle-même. Donc, si vous appartenez à une génération qui n’a pas beaucoup cotisé et qui risque d’avoir une retraite insuffisante, l’État ne peut pas redresser le tir au moment où vous partez à la retraite. Dans le système actuel, l’État peut ajuster à moins de cinq ans en ajustant le niveau des cotisations et le niveau des pensions. L’idée originelle du système par points tel qu’il est défini, c’est que l’historique de vos cotisations dans votre carrière donne votre niveau de pension et qu’on n’y touche pas. C’est le fameux «1 euro cotisé donne les mêmes droits».

8. Capitalisation ou pas?

«L'épargne retraite doit devenir un produit phare de l'épargne des Français» (B Le Maire). La loi Pacte (pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019 a effectivement créé un nouveau plan épargne retraite (PER) défiscalisé, comme le lui avait suggéré BlackRock et dont la gestion sera «pilotée» pour augmenter la part des investissements à risque.

Autre mesure: la suppression des cotisations retraites pour les revenus à partir de 10 000€/mois (au lieu de 27 000 € actuellement). Cette bascule va leur permettre d'économiser 3 Mds €/an qui vont pouvoir alimenter les fonds privés.

9. Le risque: un choc de défiance

Bien comprendre que le monde financier et les grands groupes, tout en revendiquant des rendements du capital exorbitants et des rémunérations hors norme au nom d'une supposée prise de risques, ne cessent de réclamer des garanties, des protections, des sécurités. Ils ont installé un capitalisme de rente protégé, normé, contractualisé, qui leur permet de poursuivre les États, mais interdit l’inverse.→ 2019: explosion des dividendes à 60 Mds€ (49 + 11 de rachats d'actions). Cela représente 75% des bénéfices des sociétés (au détriment des salaires et des cotisations sociales, au détriment des investissements)

Et dans le même temps, ils ne cessent de demander la suppression de toutes les garanties et des protections pour les salariés. Droit du travail, assurance-chômage, protection sociale et de santé, retraites... tout ce qui assure un minimum de protection au monde du travail, une mutualisation des risques par la collectivité leur paraît relever de privilèges exorbitants.

Ce programme de mise à bas des droits et des protections, d’insécurité sociale, créant précarité et incertitudes chez tous, est appliqué à la lettre depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron. Les Français voient se défaire sous leurs yeux leur statut, leurs protections, leur sécurité, leurs droits, leurs aides, leurs services publics. Comment prétendre dans le même temps créer un choc de confiance pour inciter les épargnants à prendre plus de risque? Le gouvernement pourrait bien obtenir l’effet exactement inverse: il est en train de créer un choc de défiance.

L’enchaînement des réformes, l’effacement de tous leurs repères et cadres, créent un climat d’instabilité et d’insécurité généralisé, qui interdit de se projeter dans le futur, de rêver l’avenir. Ce qui ne peut que provoquer des réflexes de prudence, voire de paralysie.→ On se rapproche du système anglo-saxon: un filet de sécurité financé par les cotisations (ou les impôts) et complété par des assurances privées (pour lesquelles il faudra cotiser)

Taux de pauvreté des plus de 65 ans en 2018 en Europe (à 60% du revenu médian)

  • Norvège: 7,8%
  • France: 8,3
  • Suède: 14,3% (retraite à points)
  • zone euro: 14,9%
  • UE: 16,9%
  • Allemagne: 18,2% (depuis les réformes du marché du travail et des retraites menées dans les années 2000)
  • RU: 18.3%

CCL: en 2017, les gens ont pensé voter Macron, ils ont eu BlackRock!

Et pour finir, pourquoi pas le quiz retraite des femmes ?