Dans le rétroviseur : le feuilleton de l'été. Episode 2
- Le 15/07/2016
- Dans Urbanisme / Développement
Du Front Populaire au Front de Mer – pour les riches
2016 Désir de Rivage en région malouine : La revanche de 36
2ème Partie : Un bilan malouin historiquement « réactionnaire » :
Comment une série impressionnante de privatisations de lieux publics en bord de mer s’est traduite par une privation d’accès au littoral pour les citoyens.
Ce qui suit est loin de constituer un bilan exhaustif des grosses opérations immobilières qui ont affecté les malouins dans leur expérience quotidienne de la proximité et, par exemple, de la jouissance visuelle quotidienne de la mer. Un travail plus précis, un mémoire universitaire ou une thèse, permettrait d’en retracer le détail, l’importance, les processus et les effets de façon évidemment plus rigoureuse. Une somme d’actions et de choix ont tracé une trajectoire qu’on ne saurait réduire à une suite de coïncidences.
On pourrait, bien sûr, remonter plus loin dans le temps et convoquer Chateaubriand et son expérience organique et sensorielle du rivage dans son enfance malouine. On se contentera d’affirmer que dans cette région, chacun, de façon plus ou moins diffuse, peut ressentir ici que cet élément essentiel de ce qu’il est commun d’appeler « qualité de la vie » n’a cessé de se dégrader ces dernières décennies. Peut-on, avec certains, suggérer que tout cela coïncide avec une orientation politique locale clairement « libérale » et une réduction volontaire du périmètre, voire un certain délitement, de « la puissance publique » -et de ses ressources- au profit de la spéculation et de la rente ?
Nous ne parlons pas ici de l’immobilier au sens habituel du marché des maisons, appartements, résidences secondaires ou non. Le scandale est déjà bien connu et documenté, même s’il importe de rappeler régulièrement qu’il transforme la région malouine en petit Nice septentrional pour une population vieillissante et aisée, avec fermeture d’écoles et relégation en périphérie des classes sociales au revenu modeste, et d’une bonne partie des classes moyennes. L’effet TGV, bien sûr, joue à plein dans la rhétorique commerciale des agences immobilières (plus d’une pour mille habitants à Saint-Malo !). On a même vu récemment une annonce « Investissez sur la Côte d’Emeraude » pour un petit lotissement à...Saint-Pierre-de-Plesguen.
Ce qui nous retient plutôt ici, c’est ce chacun a pu observer dans, pour faire simple, « l’immobilier public » : et, notamment, ces mises en vente régulières de lieux publics (terrains de campings, bâtiments hospitaliers, services publics, Banque de France, etc.) au profit d’intérêts privés tels que groupes hôteliers, investisseurs immobiliers haut de gamme, soins de balnéothérapie à forte valeur ajoutée, etc.
Là où les malouins ou d’autres se rendaient régulièrement face à la mer ou très près de la mer pour se reposer au camping, changer de l’argent, payer leur facture EDF, poser des questions sur leurs impôts, rendre visite à un vieil oncle hospitalisé en gériatrie, etc. se dressent aujourd’hui de grandioses bâtiments dédiés aux happy few et interdits, de fait, par l’argent déjà, aux nouveaux gueux qu’ils sont pour ces nouveaux seigneurs. Retour à l’avant 36 ?
Quelques jalons dans les annales de cette histoire
La Clinique Sainte- Marie », une aubaine en 2001
Pour beaucoup d’observateurs, il semble bien qu’en ce domaine comme dans d’autres les choses se sont accélérées à partir de... 2001. En novembre de cette année-là, on discuta ferme au Conseil Municipal de l’affectation d’un bien immobilier très cher au cœur des vieux malouins, la « Clinique Sainte-Marie », décrite par le Pays Malouin du 15 novembre 2001 comme une « superbe bâtisse, nichée dans un espace boisé, sise 65-67 avenue John Kennedy », au-dessus de la Plage du Minihic.
D’abord sanatorium à sa création en 1902, puis clinique d’accouchement, le CCAS y accueillit plus tard et longtemps un centre de vacances pour les jeunes. L’opposition tenta bien de rappeler la vocation sociale du lieu, évidemment très convoité (7000 mètres carrés en front de mer) par les deux « ténors » locaux (dixit le Pays Malouin) associés pour l’occasion, La SARL Groupe Raulic et la SACIB. Le Maire, R. Couanau, déclara d’emblée : « Il ne faut pas se leurrer sur la réutilisation de ces lieux pour une utilité publique », arguant du coût d’une maison de retraite, par exemple. On entendit même une conseillère municipale, lorsque quelqu’un suggéra d’y rétablir une colonie de vacances, dire combien la proximité si immédiate de la mer rendait les enfants nerveux et ingérables... Bref, quand on veut tuer son chien...
Le projet mi- résidence touristique-mi-logements, pour une clientèle triée sur le volet, l‘emporta sur toute autre considération. La résidence Reine Marine, 4 étoiles -66 appartements Grand Confort -succéda donc à l’ancienne maison pour enfants. Un incendie fort opportun en juillet 2002 relativisa -dit-on- les contraintes initiales contenues dans un avis de l’Architecte des Bâtiments de France indiquant que la propriété ne pouvait être démolie mais qu’elle pouvait être agrandie... Aujourd’hui, la Résidence peut se targuer d’un « accès direct à la plage et d’une piscine chauffée ouvrant directement sur la mer » (Brochure Reine-Marine 2016).
La Clinique de l’Espérance à Paramé, un pari gagnant pour la SACIB en 2002
En toute rigueur, cette clinique -privée-, et institution religieuse à l’origine, n’a pas sa place dans cette rubrique puisque la décision de fermeture et de vente, en 2002, ne relevait pas d’une décision publique. Cependant l’importance sociale et sanitaire du lieu (9000 patients par an) mérite d’être rappelée. Certes les conditions de circulation et de stationnement rendaient son maintien difficile et sans doute le transfert à La Moinerie, sous une forme différente, s’imposait.
Il est bon de rappeler, néanmoins, que beaucoup émirent alors le souhait qu’on saisisse l’opportunité immobilière qui se présentait pour doter la ville d’une maison de convalescence. Finalement, la SACIB se porta acquéreur, un « pari financier de 7 millions d’euros » (Ouest-France, 7 janvier 2003), pour y établir quelques appartements haut de gamme avec balcons et bow-windows. La vue « imprenable » justifia alors le prix de ces appartements et le nom de cette résidence : « Le Grand Panorama ».
Qui se souvient encore qu’il y a peu des milliers d’enfants virent le jour à cet endroit sans que cela fût un luxe réservé à certains ?
D’EDF-GDF à Bouygues, Raulic et Cie... 64 Chaussée du Sillon : 4500 m2 avec vue sur mer, et 150 ans de services pour tous, envolés. Avenir radieux pour « happy few » en 2004.
C’est en 1857 que la première entreprise, « Gaz Lebon », s’établit à cette adresse, à l’époque où l’éclairage au gaz de ville est inauguré à Saint-Malo. Pour la plupart de nos contemporains, c’est à cette même adresse qu’on réglait jusqu’à récemment les factures d’énergie ou qu’on signalait des problèmes auprès d’ « EDF-GDF Services ».
Aujourd’hui, chacun peut découvrir ce que Bouygues, via sa filiale Via Valparimmo, a fait en matière de « style néo-classique balnéaire », après avoir « déconstruit, démoli et dépollué » le site d’origine selon les termes du projet de 2005. Un hôtel trois étoiles s’est ajouté aux quelques dizaines d’appartements grand standing. Le Groupe Raulic (propriétaire des Thermes Marins, entre autres) a obtenu la gestion de l’hôtel. « Small world », petit monde des Messieurs de Saint-Malo.
Là où étaient les bureaux d’accueil de ce qui fut un service pour tous (EDF-GDF), Le Nouveau Monde, hôtel réservé aux « happy few », imprime sa marque face à la mer.
La permanence d’intérêts locaux (des « dynasties de promoteurs ou d’entrepreneurs, notamment) et la métamorphose du paysage urbain -et social- ne se dissocient guère. Mais comme l’affirmait en 2006 René Moncorps, alors Président de la SACIB (à propos d’une affaire de parking de la Résidence Sainte-Anne) : « Si on travaillait mal, ça se saurait ! ». Le journaliste du Pays Malouin (Le Pays Malouin, 6 avril 2006) signalait alors que ce promoteur avait obtenu...75% des marchés de la construction en 25 ans. On aimerait connaître aujourd’hui les pourcentages de chacun de ces grands ténors, généralement chantres, par ailleurs, de la libre concurrence...pour les autres. Un agent immobilier local déclarait lui-même récemment, citant un sondage IFOP : « 70% des Français pensent que l’immobilier est opaque ».
La page est tournée, bien sûr, concernant ce terrain EDF-GDF, mais certains regrettent encore que la Municipalité Couanau n’ait pas su saisir alors cette exceptionnelle occasion pour y construire la Médiathèque, par exemple. Restée longtemps l’Arlésienne des programmes électoraux, elle fut enfin réalisée sous la forme qu’on lui connaît désormais et que nul ne conteste, semble-t-il. Mais il faut avouer qu’une médiathèque publique face à la mer, avec espace de parking sur l’actuelle « caserne de Rocabey », « ça aurait eu de la gueule » ; et la fierté de tous les malouins n’en aurait nullement souffert.
Banque de France, Maison de retraite du Rosais, Hôtel des Impôts... Grande Braderie et nouveaux investisseurs... La crise ne freine guère les appétits, au contraire, à Saint-Malo comme ailleurs, de 2005 à aujourd’hui.
A l’heure de la « mondialisation heureuse » (Alain Minc) et de la mobilité des capitaux, d’autres prédateurs ne pouvaient manquer d’apparaitre sur la scène malouine. Tous les indicateurs, ici comme ailleurs, confirmaient que l’accès au rivage constituait bien le nouvel eldorado de ce « nouveau monde ».
En 2005, on vit le géant états-unien Carlyle jeter son dévolu sur un des lieux les plus significatifs du patrimoine local, l’ancienne Banque de France, 7 Rue d’Asfeld, Intra-Muros. De façon emblématique, ce somptueux hôtel particulier de 1724 passa ainsi du jour au lendemain -avec 34 autres succursales identiques à travers le pays- dans l’escarcelle d’un des plus gros fonds de pensions de la planète. L’état intensifiait alors sa mise à l’encan des bijoux de famille.
Remis en vente deux ans plus tard dans un calcul clairement spéculatif, l’immeuble bénéficia d’articles promotionnels dans les magazines les plus « exclusifs ». Il semble cependant que la crise amorcée en 2008 contribua -très provisoirement- à calmer la fièvre acheteuse pour ce type de produit, annoncé quand même à 2,52 millions d’euros, soit autour de 1500 euros le mètre carré.
C’est dans ces mètres carrés, d’accès public alors, que pendant 122 ans plusieurs générations de malouins ont tenu des opérations de compensation, observé l’économie locale pour le compte de l’Etat et des entreprises, ou, plus prosaïquement échangé leurs devises avant de voyager.
1500 euros le mètre carré ? De la petite bière en comparaison d’une autre opération qui se tint peu après dans une relative discrétion du côté du Rosais. 5300 euros le mètre carré fut le prix moyen annoncé en 2011 lors de la commercialisation des 44 appartements du nouvel ensemble. 145 000 euros pour un studio... La Maison de Retraite en granit et le parc d’1,7 ha avaient été acquis aux enchères en 2009 pour moins de 4 millions d’euros.
Cette belle opération immobilière fut rondement menée par le Groupe Arc, un promoteur rennais qui avait clairement affiché peu avant son intention de prendre pied dans ce bac à sable trop longtemps malo-malouin. Les acheteurs visés étaient clairement décrits par le Directeur commercial du groupe : « Nous sommes sur un produit haut de gamme... On vise la clientèle parisienne. Acheter à Saint-Malo est pour beaucoup un bon calcul ».
Qui en douterait ? Et qui ferait aujourd’hui le procès des vendeurs, l’Hôpital de Saint-Malo, trop heureux de glaner ici ce qui permit ensuite de construire un nouvel EPHAD conforme aux normes d’aujourd’hui, nous assure-t-on, mais bien en retrait du rivage, derrière Lorette...
Les heureux vieillards qui profitèrent du lieu et de la superbe vue panoramique sur Dinard et la Rance pouvaient-ils deviner qu’un jour on considérerait cela comme un luxe inouï, désormais interdit à leurs semblables ?
Vous pourrez lire la fin du feuilleton en ligne dès le 22 juillet