Dans le rétroviseur : le feuilleton de l'été. Episode 3
- Le 22/07/2016
- Dans Urbanisme / Développement
Du Front Populaire au Front de Mer – pour les riches
2016 Désir de Rivage en région malouine : La revanche de 36
3ème Partie : Ex-Hôtel des Impôts : Golden Tulip, c’est le bouquet. Et ce n’est pas fini.
Autre gros dossier de ces dernières années, le sort de l’ancien Hôtel des Impôts Intra-Muros semblait scellé avec la décision de l’ancienne municipalité d’en faire un Musée Maritime, l’autre « Arlésienne » - avec le projet de Médiathèque- des années Couanau.
Aux termes de négociations avec l’État, le site fut acquis par la commune fin 2013 pour 1,3 million d’euros, prix particulièrement intéressant -hors marché immobilier, dit-on- afin de favoriser ce projet d’une activité culturelle d’intérêt public. Pendant l’été 2014, la nouvelle municipalité indiqua clairement, avec un apparent bon sens, qu’elle « partageait le souhait d’avoir un musée maritime à Saint-Malo, mais (elle) estimait qu’un musée maritime devait être au bord de l’eau » (Ouest-France 28 Août 2014). Exit, donc, le projet de Musée Maritime à l’emplacement de l’Hôtel des Impôts.
On notera, incidemment, que cette belle logique de proximité avec le rivage ne s’appliqua pas au… Lycée Maritime, contraint de quitter le bord du port à Saint-Servan pour les abords de l’IUT à Paramé. Il fallait bien faire place au futur gymnase pour le personnel de la TIMAC, en continuité de son désormais fameux Centre International de Recherches.
À la même date, Claude Renoult affirmait ses intentions concernant l’Hôtel des Impôts: « La première idée serait de créer des logements, des résidences hôtelières. Mais nous préférons réinjecter de l’activité tertiaire ou à valeur ajoutée économique ». Ouest-France commentait : « Pour le tertiaire, ce pourrait être le transfert de certains services de la Ville aujourd’hui éparpillés », l’article évoquait même un « point lecture Intra » parmi ces scénarios. L’intention était belle, trop belle…
Au printemps suivant, le vent de l’Intra pour tous avait fini de souffler. Fin avril 2015, la bien-nommée Golden Tulip surgit dans les gazettes, portée par le Groupe Immobilier rennais Bardon. En se portant acquéreur, pour 2,3 millions d’euros (Ouest-France 5 avril 2016), ce dernier coiffait sur le fil d’autres ténors de la nouvelle Ruée vers l’Or, le local Raulic Investissements, le régional Giboire, l’international Kaufman et Broad. Le jury (sept personnes issues de la commission d’urbanisme) justifia son choix par la solution « sympathique » apportée à la reconfiguration du bâtiment situé en zone classée.
Le promoteur transforme donc actuellement l’ex Centre des Finances en un hôtel Quatre étoiles de 62 chambres, avec une brasserie en rez-de-chaussée. L’exploitation en sera confiée à Golden Tulip (Groupe Le Louvre Hôtels) déjà propriétaire d’une vingtaine d’hôtels en France et de 240 dans le monde.
Pour compenser très symboliquement cette opération de privatisation d’un lieu public de grande ampleur, la Municipalité vendait –simultanément- l'Hôtel Désilles au Groupe Perle pour un projet de « logements sociaux pour des familles aux revenus intermédiaires » (douze appartements de tailles diverses) et une salle de lecture au rez-de-chaussée. « Manière de s’acheter des Indulgences comme au bon vieux temps », dirent alors chez certains malouins, inquiets de la dilapidation accélérée des bijoux de famille.
L’ancienne Bibliothèque Municipale disparut ainsi des radars mais il est vrai que la Médiathèque allait vite s’y substituer et qu’un point-lecture y était maintenu. Il est intéressant, en revanche, de noter que ce (modeste) bâtiment fut mis à prix 1,5 million d’euros début 2015 ; soit un peu plus que le prix de la transaction entre l’État et la Ville pour l’énorme bâtiment de l’Hôtel des Impôts, prix consenti pour y réaliser le projet de Musée Maritime. Il paraît naturel que l’État favorise, après tout, un projet d’intérêt public.
Mais quid du changement de destination de ce lieu éminemment « public » et de son attribution, pour 2,3 millions d’euros, à rebours des déclarations initiales, à un investisseur financier et commercial dont la logique est évidemment celle du profit privé et dont l’utilité publique est quasiment nulle ? On aimerait savoir si la Cour des Comptes, par exemple, a été amenée à se prononcer sur cette étrange mutation de destination d’un lieu patrimonial public, propriété de tous, en un hôtel quatre étoiles pour quelques-uns. L’État serait-il légitime à reconsidérer le prix de la transaction et à faire valoir rétroactivement ses droits ?
Le Malotru, au risque de se faire traiter de traître et de renégat, met-il les pieds dans le plat en posant cette question ? L’affaire a-t-elle été tranchée ? Y at il matière à contentieux ? A l’heure où beaucoup d’élus se plaignent d’une baisse notable -et réelle- des dotations de l’État, on note qu’en l’occurrence -si ces faits sont avérés- c’est, pour le dire de façon imagée, l’État qui s’est fait plumer.
Le projet fait des vagues auprès des habitants de l’Intra-Muros, surtout après l’annonce d’emprises foncières complémentaires pour y établir un petit parking privatif susceptible d’amputer le parc Lamennais. Le Maire s’amusa de la pétition lancée à cette occasion : « C’est à la mode de lancer des pétitions dont on connaît la conclusion ». En bon connaisseur des techniques de manipulation de l’opinion, il ajouta, ce que certains appliqueraient, en effet à d’autres réalités locales ou régionales (Notre-Dame des Landes ?) : « Ça permet de s’octroyer le bénéfice du résultat alors qu’il était déjà acquis » (Le Pays Malouin 8 octobre 2015)... En attendant, le seul parc « paysager », ouvert à tous, de l’Intra va se réduire comme peau de chagrin.
Le projet fait aussi des vagues du côté des hôteliers malouins. « L’objectif est de ramener du monde Intra-Muros » assure M. Le Pennec, adjoint en charge des Finances et du Patrimoine. Du monde ? Concept bien vague quand le public visé est clairement limité en nombre et en « qualité », pourquoi ne pas dire d’emblée « select » ? Ou, dans le jargon commercial, « à haute valeur ajoutée » ? Traders jersiais et autres bienvenus… C’est vrai qu’un Musée d’histoire maritime, avec des animations comme en connaît la muséographie contemporaine aurait, certes, attiré « du monde », mais sans doute pas tout à fait le même monde. Les historiens prendront plaisir à rappeler que lors de la Révolution française, l’endroit s’appelait -le croiriez-vous ?- La Grande Commune…
L’ex-Commissariat Intra-Muros : contre-exemple et appel à vigilance citoyenne
Un autre cas positif d’aide à des projets d’utilité sociale par l’État mérite, incidemment, d’être signalé dans l’Intra-Muros, première opération de ce type en Bretagne : estimé 1,1 million d’euros, l’ancien commissariat a été acquis par la Ville de Saint-Malo pour&helipp; 120 000 euros pour y créer quinze logements locatifs, grâce aux dispositions de la loi Duflot qui permet de céder du foncier coûteux pour créer du logement social. L’État, la Région, le Département, L’Agglo, et l’ADEME, se sont associés pour la réalisation de ce projet social.
Contre-exemple saisissant du projet d’hôtel de luxe Golden Tulip sur la même place… Appel aussi à la vigilance à propos d’autres opportunités à venir comme des terrains inutilisés par la SNCF ou l’énorme potentiel que représente (hors proximité du rivage, il est vrai) l’ancienne Caserne de Lorette, près de sept hectares démilitarisés en 2011, où plusieurs centaines de logements (sociaux ?) seraient possibles… On parle de 500 logements, soit l’équivalent d’un an de construction à Saint-Malo. On devine les appétits des cohortes de promoteurs à l’affût d’un tel festin. La Ville saura-t-elle parvenir à une heureuse conclusion dans une négociation avec la SOVAFIM, l’organisme créé par l’État pour assurer la vente -et la « valorisation »- des biens immobiliers publics ?
Des campings en or massif
Il y a peu de temps, la ville de Saint-Malo disposait de quatre terrains de camping. Il est facile de trouver encore des cartes postales de cet « heureux temps » où une modeste Dauphine, voire une Dedeuche, apparaissait à côté d’une canadienne d’où émergeait une petite famille sur fond de mer bleue… Ces temps, plus proches de l’utopie sociale de 36’ que des années Thalasso-casino-golf sont bien sûr révolus. Il n’est plus question de perdre un peu d’argent pour gagner une population estivale de gagne-petit alimentant le barbecue quotidien de victuailles à bas prix… Tout juste est-on prêt à « sacrifier » un camping, celui des Ilots à la sortie de Rothéneuf, pour y accueillir les camping-cars, et eux seuls, depuis 2011. Avec un profit substantiel d’ailleurs.
Outre les Ilots, il ne reste plus qu’un seul camping, celui d’Alet à Saint-Servan, le seul et dernier « véritable camping », avec ses 300 emplacements avec une vue à couper le souffle, dernier vestige régional de ce rêve du Front Populaire d’un accès pour tous au rivage… Sa fermeture n’est pas envisagée officiellement, mais un article du Pays Malouin (12 novembre 2015) indiquait que la Municipalité n’excluait pas d’en confier la gestion à un prestataire privé. Première étape d’un processus déjà dans les tuyaux ? Là encore, la vigilance s’impose.
La vigilance a-t-elle manqué pour les deux autres, Le Nicet et les Nielles ? Certes, tout n’est pas joué mais la partie est déjà bien engagée.
Le Nicet, à Rothéneuf, ouvert en 1954 au-dessus de la plage du même nom, était le plus ancien camping municipal de la ville. Le terrain, fermé en 2013, restera, pour l’essentiel, propriété municipale, et devrait devenir un parc paysager et ludique (les boulistes ne sont jamais oubliés à Saint-Malo). Chacun s’en réjouit d’avance, mais pourquoi -diable- vouloir simultanément aliéner une partie (3600 m2) afin d’y favoriser un programme immobilier privé de plus, dont on peut parier qu’il ne sera pas vraiment social » ?
Et que dire, alors, du projet des Nielles à Paramé ? 15000 m2 d’accès direct à la mer, ce camping fut un rêve pour des milliers de campeurs français et étrangers. Un « appel à idées » pour « valoriser le secteur » fut lancé fin 2015 après la fermeture du lieu en février de la même année. Le Jury (quatre élus de la majorité municipale, un élu de l’opposition de gauche, et un élu de l’opposition de droite) a retenu à l’unanimité en février 2016 le projet du Groupe Raulic. Les « battus » étaient le groupe familial rennais Giboire Immobilier et le Groupe national Nexity.
On parle de 7,5 millions pour le prix d’acquisition et d’un programme haut de gamme : Un spa marin, un hôtel 5 étoiles de 90 chambres, une résidence tourisme 4 étoiles, ainsi que -cerise sur le gâteau- « une école internationale de formation aux métiers du bien-être ». La « cible », cette fois encore, est clairement assumée : Une nouvelle génération de clients jeunes et aisés entre 30 et 50 ans… Sur le papier, on garantit 140 emplois permanents directs et environ une centaine d’emplois indirects. La Ville a promis d’impliquer les riverains « dans une démarche innovante de concertation publique à toutes les étapes de la conception » (Le Pays Malouin 3 mars 2016).
Invités à découvrir le projet en avril, bon nombre de riverains ont fait part de leur déconvenue quand ils ont découvert l’ampleur du projet, et, semble-t-il, pour certains, la menace sur la « vue de mer » dont ils jouissaient. D’autres évoquent leur consternation lorsqu’ils ont été informés de certaines phases concrètes du chantier non évoquées jusqu’alors, comme la destruction « par burinage » d’un bunker ou le « creusement de la falaise sur trois niveaux ». Il semble que le P.L.U devra être spécifiquement révisé pour permettre la construction envisagée, ce qui nécessite une enquête publique... On parle aussi de plus de 150 places de parking, ce qui laisse augurer la nécessaire reconfiguration de l’Avenue des Nielles autour de ces bâtiments.
Le cœur de ce projet est plus nettement évoqué par l’un des riverains cités par le Pays Malouin du 19 mai 2016 lorsqu’il s’enquiert des réelles contreparties pour les malouins, au-delà de son propre sort : « Quels emplois ? Pour qui ? ».
Conclusion (provisoire ?) : quelle logique à l’œuvre ?
Il semble bien que ce qui anime toutes ces évolutions immobilières locales dont nous pourrions compléter la liste ainsi à peine ébauchée, au-delà même de chacun de ses acteurs, c’est un impensé commun à toutes les « révolutions libérales » de ces trois dernières décennies : la certitude, l’idéologie même selon laquelle l’activité absolue des riches pour les riches induit un enrichissement relatif des classes sociales inférieures. Cette « pensée » fut même théorisée par d’inévitables « économistes » anglo-saxons dans les années 1980 sous le nom d’ « effet de ruissellement » (« trickle-down » approach). Justification évidemment lumineuse pour TINA Thatcher (« There is no Alternative ») et pour Ronald Reagan dans leur « libération des énergies » et la dérégulation.
Il ne s’agit pas, dans cette balade en un certain pays malouin d’une critique de l’esprit d’entreprise ni de la reprise d’un slogan facile sur le capitalisme « sauvage », mais de l’observation documentée d’un phénomène à l’échelle d’un micro-territoire. Cette observation confirme et illustre la victoire d’une domination d’un groupe social restreint, aux intérêts économiques pleinement assumés, et qui a gagné des alliés dans la sphère politique locale et nationale. Des élus, indépendamment de leurs éventuelles étiquettes politiques, se laissent convaincre aisément de la légitimité et de l’ « efficacité » de leurs stratégies décrites comme « gagnant-gagnant ». La Fédération des promoteurs-constructeurs le résume ainsi dans sa littérature experte : « Il existe une corrélation entre développement immobilier et croissance des territoires ». Magie de la Main Invisible du Marché…
En 2008, René Couanau, alors Maire de Saint-Malo, prit la parole lors du Congrès National des promoteurs-constructeurs qui se tenait au Palais du Grand Large. Volontiers défenseur d’un volontarisme politique en matière d’urbanisme, il défendit la nécessité de programmes de logements aidés avec des termes que ne renieraient pas des adeptes de l’économie planifiée : « Tous les programmes comporteront des logements aidés. C’est impératif. Sinon, le marché naturel, libéral, ne répondra jamais aux attentes de la population » (Ouest-France 21-22 juin 2008). Quelques lignes après, il se félicitait du laboratoire que, selon lui, son agglomération constituait : « Pas besoin ici d’instaurer des quotas. Il y a une adhésion spontanée de leur part pour intégrer une part de logements locatifs aidés… ». Quand la foi suffit, foin de la loi.
Une telle politique, développée ici depuis quelques trente ans, largement défendue, voire davantage libéralisée encore par la nouvelle municipalité, montre pourtant chaque jour davantage ses effets délétères : relégation en périphérie des classes moyennes et modestes, vieillissement des populations de centre-ville, fermetures de classes et d’écoles, hausse vertigineuse de l’immobilier, pollution croissante liée aux déplacements et à l’éloignement, disparition des commerces de centre-ville etc. Mais rien n’y fait, on continue de plus belle, avec la certitude qui est la signature même de toute idéologie, que si on n’a pas encore réussi à résoudre les problèmes, c’est parce que on n’en a pas fait assez... Pas assez de trois et quatre étoiles, pas assez de lieux de soins et de loisirs haut-de-gamme, pas assez de congrès pour V.I.P.s, pas assez de L.G.V mettant Paris à 2h15, pas assez de yachts et de paquebots de croisière inscrits au registre panaméen, pas assez, jamais trop.
On aurait pu ici évoquer encore bien des choses sur ce cycle historique de privatisation implicite et de désappropriation de lieux publics que nous associons volontiers à la revanche, consciente ou non, de l’esprit des Congés Payés et de l’accès au rivage pour « les gens de peu »… Les exemples ne manquent pas :
Bientôt, une vieille carte postale en noir et blanc, la piscine du Naye.
L’Hydro (Ecole de la Marine Marchande Intra-Muros) va quitter son site historique avec sa vue fabuleuse sur le large, la Poste dans les Murs va fermer, remplacée par deux « relais » chez des commerçants, l’Ecole d’Infirmières et d’Infirmiers va quitter Saint-Servan. Il n’y aura plus de piscine municipale Olympique de centre-ville à Saint-Malo, Saint-Malo Agglo ayant opté pour un « centre aqua-ludique », vraisemblablement en gestion privée, situé dans la Zone Atalante. Manière de confirmer, hélas, la prédiction faite il y a quelques années par l’architecte-urbaniste J.F Revert, couronné du Grand Prix de l’Urbanisme, lorsqu’il annonçait un « urbanisme de rocade » pour l’agglomération malouine.
Pour lui, « Saint-Malo a une vraie identité, mais le problème, c’est que seuls les touristes en profitent. Cette ville se vide de sa substance » (Le Pays Malouin, 10 mars 2016). Autre façon , bien différente sur le fond, de dire ce que Roland Beaumanoir déclarait plus tôt dans un entretien tonitruant qui donna lieu à une petite polémique locale : « Le commerce en centre-ville n’a aucun avenir etc. » (Le Pays Malouin 18 février 2016).
Edifice magnifique de ce qui fut un service public, la Poste Intra-Muros
Outre-Rance, après l’opération du Nessay à Saint Briac évoquée en introduction, on annonce une « privatisation possible de Port-Breton » (Mme Cravéia-Schütz Le Pays Malouin 16 juin 2016). On aura deviné l’objectif : « En faire un lieu de congrès et de séminaires avec chambres d’hôtel » Ce qui vaudra à la Maire de Dinard cette réplique peu amène d’un élu de l’opposition : « L’accueil des séminaires et congrès est la panacée des maires qui n’ont pas d’idées ».
On appréciera la saillie, mais, après tout, l’idée est peut-être bonne : il en faudra des séminaires pour savoir ce qu’on pourra faire de ces lieux de séminaires et de congrès qui vont ourler désormais nos rivages de la Côte d’Emeraude. En attendant ce jour, un avis de tempête n’est pas exclu. Appel à vigilance citoyenne !
FIN