Un chemin semé d’embûches (3)
- Le 23/03/2016
- Dans Urbanisme / Développement
Extension du domaine de la lutte sur la Côte d’Émeraude
Un bref rappel pour nos lecteurs dont l’attention risque de s’être dissipée en cours de route. Le feuilleton que nous avions inauguré en juillet 2015, sous le titre « Un chemin semé d’embûches »* , et qui narrait la longue bataille des Amis des Chemins de Ronde (les ACR 35) afin de faire reconnaître les droits des citoyens de tout poil de déambuler librement le long de notre belle Côte d’Émeraude, reprend du service.
* (dans Le Malotru du 9 juillet 2015, suivi par un second article paru le 17 septembre de la même année, où le Président des ACR35 faisait le point des avancées mais aussi des difficultés rencontrées dans son combat pour faire respecter la servitude de passage le long du littoral)
Après avoir longuement défié les autorités de l’État et les diverses forces qui voulaient conserver leurs anciens privilèges les autorisant à s'accaparer un bout du littoral, nos Amis pouvaient raisonnablement penser à la fin de l'année dernière qu'ils allaient bientôt se reposer sur leurs lauriers. Or, il n'en est rien.
En effet, la presse officielle s’est récemment fait l’écho de certains démêlés qui encore et toujours opposent cette courageuse association à quelques propriétaires récalcitrants, pour qui l’intérêt particulier serait nettement supérieur à celui de la collectivité. Mais ce différend s'étend maintenant à certains édiles des charmants bourgs de nos côtes et autres élus de tout poil, dont les motivations sont pour le moins obscures quand elles ne s’inspirent pas de la sempiternelle antienne libérale dont nos médias et nos élites nous abreuvent tous les jours. Si cette lutte, comme on le constate heureusement, donne souvent à long terme des résultats bien tangibles, elle n’en connaît pas moins aujourd’hui de nouveaux développements tant dans sa nature que dans ses protagonistes, prouvant encore une fois que l’adversaire protéiforme sait renaître là où l’on ne l’attendait plus.
Le terrain conquis en 2015 marque le pas
L'année 2015 avait pourtant bien commencé et de nombreux dossiers semblaient être enfin sur le point de connaître un dénouement heureux…
Une conclusion satisfaisante à Quelmer - La Passagère
Depuis près de 30 ans que la servitude de passage avait été officiellement ouverte le chemin était néanmoins resté longtemps fermé par des branchages et une clôture, qui avaient rendu le sentier impraticable pendant tout ce temps. En 2014 les diverses autorités administratives concernées décidèrent de débloquer la situation. Un projet de cheminement fut instauré et un accord fut conclu avec le propriétaire afin de commencer des travaux pour permettre le passage du chemin de ronde. À cet effet, les pouvoirs publics (mairie et conseil départemental) ont décidé de construire un escalier en bois qui permettrait de contourner l'obstacle. Malgré quelques retards, les travaux sont sur le point d'être achevés début 2016 et le sentier devrait pouvoir être utilisé à partir de ce printemps. Contrairement à quelques affirmations rapides de la presse, le propriétaire concerné a quand même fait preuve de bonne volonté dans cette affaire en réalisant les travaux qui lui avaient incombé. Les ACR s’estiment donc à juste titre satisfaits d’une issue plutôt heureuse, qui assure ainsi la continuité de cette portion du chemin de ronde en bordure de Rance jusqu'à l'anse de Troctin.
Un compromis moins heureux au Bénétin
Par contre la situation reste beaucoup moins favorable en ce qui concerne le passage du Sentier à Rothéneuf, du fait de la position de M. Beaumanoir, le propriétaire du restaurant le Bénétin, qui est situé à l'extrémité du chemin menant aux Rochers Sculptés. Un accord avait été passé en 2009 entre la ville de Saint-Malo et la SCI les Rochers Bleus, représentée par les époux Beaumanoir, afin d’acquérir à titre gratuit une bande de terrain qui permettrait d'assurer à terme la continuité entre la pointe du Christ et Notre-Dame des flots. La délibération du conseil municipal de la ville accordant le permis de construire pour le restaurant mentionnait expressément la nécessité d’aménager en contrepartie un chemin piétonnier sur une bande de 3 m de large le long de la mer.
Quand le restaurant fut enfin reconstruit, on ne put en fait respecter l'accord parce que… l’acte de cession n’a jamais été signé. Un litige complexe s'ensuivit sur la validité de ces documents qui étaient conservés par la municipalité, ainsi que, de manière plus fondamentale, sur la légitimité de céder à titre gratuit une parcelle de terrain dans ces conditions puisque cette disposition du Code de l’Urbanisme fut déclarée inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel le 22 septembre 2010. De ce fait, le terrain ne fut jamais réellement acquis par la ville et le tracé originel du sentier dont l’objet était de contourner le Bénétin par des voies goudronnées allant très loin à l'intérieur des terres fut maintenu. Malheureusement, c’est l'arrêté préfectoral de 1982 qui avait initialement délimité la SPPL qui constitue encore aujourd'hui la base juridique de la discussion, et il ne peut être revu en l’état. Par ailleurs, le chemin qui devait passer entre le restaurant et les Rochers Sculptés dans le projet d’accord se retrouve en fait sur le domaine de ces derniers, ce qui rendait de toute façon la situation particulièrement inextricable…
Toutefois, la délibération de la ville du 25 juin 2015 a pu faire avancer le dossier en approuvant un nouvel accord amiable avec les propriétaires du restaurant. Le nouveau périmètre qui fut ainsi délimité se révéla un peu plus favorable grâce à l’acquisition de parcelles par la ville de Saint-Malo et par le département, bien qu'il ne se situe pas non plus en bordure de mer. Des travaux ont pu malgré tout être lancés au plus près du parking du restaurant, et devraient être terminés au début de l'été 2016. Les ACR n’ont pu que se contenter de cette avancée et souhaitent sa mise en œuvre rapide. Le nouveau contournement se situe désormais moins en retrait de la côte, mais il n'en reste pas moins que cette solution est boiteuse et qu’elle ne permet toujours pas de cheminer le long du littoral de Rothéneuf.
Une situation débloquée mais encore délicate aux Corbières
En 2015 la situation à Saint-Servan, sur le tronçon entre la Briantais et les Corbières, avait pris une tournure encore plus spectaculaire. L'un des propriétaires de l’immeuble l'Artimont qui s’opposait farouchement au passage sur sa propriété a eu la surprise de voir intervenir des forces de l’ordre, que le préfet avait dépêchées à son intention afin de lui rappeler les principes du code de l'urbanisme. Grâce à cette contrainte exceptionnelle, les travaux ont pu finalement être réalisés. Toutefois, on ne put aller vérifier leur état sur place car les représentants de l’État s'opposèrent à ce que l'on s'aventure sur cette portion tant que la continuité du cheminement n'était pas assurée…
En effet, le passage est particulièrement difficile car il comporte un point sensible où il est nécessaire de réaliser un aménagement relativement important afin d’assurer la jonction entre les deux tronçons du sentier. Les ACR ont retrouvé à l'automne 2015 quelques représentants de la ville de St Malo, élus et fonctionnaires, qui leur ont exposé les difficultés techniques du dossier, mais qui les ont assurés de la volonté de la ville de voir aboutir ce dossier. Le coût des travaux semble relativement élevé et l’association se montre réservée sur la possibilité d’une ouverture rapide du chantier. Elle se plaît néanmoins à espérer que la continuité du sentier puisse être normalement assurée à la fin de 2016, sur cette partie de la commune de Saint-Malo.
Le tracé de la SPPL à Saint-Malo est probablement à revoir.
Plusieurs points noirs subsistent encore sur le territoire de cette ville mais tous ne sont pas connus avec précision. Certaines difficultés ont notamment été signalées au Troctin. D'une manière générale, le tracé de la SPPL, qui date de juin 1982, est devenu obsolète au point qu'il faudra probablement recommencer la procédure de révision de ce tracé, et donc lancer une nouvelle enquête administrative publique qui nécessitera le concours de tous les riverains. Cela devrait sans doute aboutir après un assez long processus et de nombreuses tractations, et les ACR prévoient de passer une bonne partie de l'année 2016 sur ce dossier particulier.
Et de nouvelles formes de conflits apparaissent
Au début de cette année, les choses ont commencé à prendre une nouvelle dimension. Les conflits changent de nature et l’on voit progressivement se profiler d'autres formes de combats. Ce ne sont plus seulement quelques propriétaires isolés qui refusent tout passage sur leurs terres mais aussi plusieurs groupes, municipalités ou administrations qui tentent de s'opposer au libre accès à la mer, par des moyens détournés ou en utilisant d’autres arguments que ceux auxquels les ACR avaient été habitués.
Une initiative hasardeuse de la municipalité de Dinard
Par arrêté municipal du 26 février 2016, la ville de Dinard vient de prendre la décision de fermer à la circulation une partie du chemin de ronde à la Vicomté. Celle-ci a en effet estimé que des portions de ce sentier sont devenues dangereuses en raison de risques de glissement de terrain et de chutes potentielles de rochers, qui imposeraient des travaux à réaliser au plus tôt, et ce dès le mois de mars. La municipalité s'est basée sur les études effectuées par la société Géolithe, qui est installée à Rennes. Celle-ci a réalisé à la demande de la ville un diagnostic sur des terrains susceptibles de générer des risques et à donc présenté un rapport sur l'état des lieux du chemin dans ce secteur.
Les Amis des chemins de ronde ont réagi très rapidement à cette mesure. Ils ont pour leur part considéré que cette décision municipale était tout à fait arbitraire et l’ont qualifiée de « fait du Prince ». Il apparaît fort probable que les raisons invoquées par Madame Craveia-Schütz, la maire de Dinard, soient plutôt fondées sur la vieille querelle avec la précédente équipe municipale, qu’elle accuse de ne pas avoir entretenu les sentiers et d'être donc responsable de cet état de choses. L'association a alors demandé et obtenu de consulter une partie des documents géologiques de la Mairie, dont le rapport d’expertise en question. Les ACR ont finalement estimé que l'interdiction complète d'accès à ces chemins ne correspondait pas à la réalité observée sur le terrain.
En effet, le président, Patrice Petitjean, a effectué une première reconnaissance sur place le 14 mars 2016, accompagné d’un journaliste, et n'a constaté que peu de restrictions d'accès (panneaux ou barrières), et qu’il n’y avait par ailleurs aucun obstacle ou éboulement de terrain. Il a surtout noté que les piétons avaient d’ores et déjà contourné les barrières posées par la ville, et qu’ils pouvaient cheminer sur ce tronçon en toute liberté, ce qui ne manque pas de s’interroger sur les raisons réelles de cette interdiction. Une seconde visite, deux jours plus tard, vint confirmer ces premières constatations et permit de découvrir que le sentier était même très large à certains endroits (près de 3 m) et qu’aucun signe de danger réel ou immédiat n’était apparu.
L'association a publié en conséquence une lettre ouverte au maire le 18 mars 2016, où elle a réaffirmé le principe fondamental de la SPPL, auquel ne saurait déroger un magistrat municipal qui ne dispose que de pouvoirs de police administrative en la matière. Elle conclut à l’inutilité d’une telle mesure, dont elle conteste le bien fondé, et se déclare disposée à rencontrer l’équipe municipale à ce sujet. Par-dessus tout, elle s’inquiète particulièrement du caractère d’exemplarité de telles actions, qui pourraient se multiplier dans le département si d’autres autorités locales, plutôt réticentes vis-à-vis des chemins de ronde, souhaitaient elles aussi appliquer ce principe de précaution de manière indiscriminée, en l’absence de danger grave et imminent. C’est ainsi que des portions entières du littoral pourraient alors être fermées quasi-définitivement par le moyen de simples mesures administratives locales.
Les inconnues du projet immobilier des Nielles
Sur le territoire de la commune de Saint-Malo, d’autres risques de conflits potentiels commencent à s'accumuler, comme c'est notamment le cas pour le devenir de l'ancien camping des Nielles. Celui-ci a été vendu par la municipalité aux Thermes Marins et fait partie d'un grand projet immobilier sur une partie sensible de la côte malouine. Les ACR restent vigilants car ils veulent s’assurer que l'accès à la SPPL sera bien respecté dans le cadre de cette opération de privatisation d'un terrain public.
Une résistance toujours farouche à Saint-Briac
Aujourd’hui, Saint-Briac-sur-Mer reste paradoxalement la seule commune du littoral 35 où la SPPL n'est pas véritablement respectée. L’histoire de toutes les vicissitudes auxquelles ils ont été confrontés est déjà longue. Le projet a été refusé une première fois par la commission des sites et paysages pour une absence d'étude d'incidences Natura 2000. Le littoral de la commune fit l'objet d'une première procédure de mise en œuvre de la SPPL, approuvée par un arrêté préfectoral du 5 mai 1982. Celui-ci fut annulé par un arrêt du Conseil d’État du 15 avril 1988, pour un simple vice de forme. Depuis 2009, les ACR demandent l'ouverture intégrale du sentier littoral, soit 9 km environ, dont 2 km restent inaccessibles.
Après de nombreuses démarches, le préfet d'Ille-et-Vilaine ordonna au printemps 2014, une enquête publique sur un projet de tracé élaboré par l'administration, où l'on put recueillir les avis de tous ceux qui souhaitaient s'exprimer sur le sujet. Les ACR et leurs adhérents contribuèrent largement au succès de cette opération qui devrait permettre à terme de lever les blocages liés à l'intransigeance de certains riverains. Le nouveau tracé n'était pas parfait, et ne permettait notamment pas d'accéder à certains sites remarquables comme la pointe de la Haie, mais il constituait une avancée significative. Malgré l'hostilité déclarée de certains opposants irréductibles, la commissaire enquêtrice émit un avis favorable au tracé proposé.
Le conseil municipal, saisi par le préfet se prononça sur ce projet le 9 décembre 2014, et le 4 février 2015 le Préfet d'Ille-et-Vilaine approuva finalement par arrêté le tracé de la servitude de passage le long du littoral sur le territoire de Saint-Briac. On apprit alors que de nombreux propriétaires de villas situées le long du littoral avaient engagé une série de recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté. Par 3 requêtes introductives d'instance déposées par la société d'avocats LEXCAP, c’est 21 requérants, propriétaires de résidences secondaires, qui avaient demandé au tribunal administratif de prononcer l'annulation de l'arrêté préfectoral et même réclamé des indemnités !
Les ACR jugent désastreux que l'une des plus belles communes du littoral ne voie pas sa situation juridique stabilisée du fait qu’une forte minorité de propriétaires continue de contester la légalité de la SPPL. Ils ont donc décidé de se doter de moyens juridiques adaptés, et, avec l’aide de juristes de la Préfecture de la région Bretagne, ont déposé à cet effet un mémoire en intervention auprès du tribunal administratif de Rennes, afin de présenter la position de l'association. L'ADICEE, une association agréée au titre de la protection de l'environnement, s'est également jointe à cette démarche visant à lutter contre les recours abusifs d’une partie puissante et non négligeable de la population, qui remettent en cause la légitimité de l’action publique et jouent sur le temps et les rapports de forces.
Où se déroule l’interminable aménagement du Pont de Lancieux
En marge de l'ouverture du sentier littoral à Saint-Briac, les ACR avaient déjà constaté que la traversée du pont de Lancieux, à l'intersection des routes départementales RD 603 et RD 786, était particulièrement dangereuse pour les piétons. En 2015, le Conseil Général avait été sollicité pour la mise en place d'un passage protégé à cet endroit. Après la rencontre sur place du 8 janvier 2015 avec les autorités et les fonctionnaires départementaux, il devint évident pour les ACR que les services du Conseil Général s'opposaient fortement à la matérialisation du passage à l'entrée du pont, pour des raisons techniques qui semblèrent assez obscures et même contradictoires. Ce discours était d’autant plus absurde que, de l'autre côté du pont, le conseil général des Côtes d'Armor avait déjà aménagé la traversée de la route pour sécuriser les piétons !
Les ACR tentèrent alors de négocier une solution alternative plus modeste, un peu en recul par rapport au carrefour, en proposant de mettre à la charge de la commune et du Conseil Départemental la réalisation de quelques travaux d'aménagement. Ces derniers sont toujours en attente, malgré plusieurs interventions de l’association au cours de l'année dernière, qui finit par se désespérer de la lenteur et du poids de démarches administratives interminables…
Et qui se double d'une interrogation autour du Château du Nessay
La municipalité de Saint Briac envisage de modifier le statut du château et de son parc qui sont situés sur la presqu’ile du Nessay. Celui-ci est un édifice remarquable et un haut lieu symbolique au service d’une longue tradition d’accueil des enfants de tous milieux sociaux. C’était un acquis que de multiples associations culturelles et acteurs sociaux avaient obtenu de longue date, dans la lignée des combats historiques en faveur des Congés Payés.
Une pétition récente vient d'être lancée afin de protester contre une privatisation déguisée de ce lieu, dont le présent usage associatif à caractère mixte lui avait assuré un succès qui l’avait popularisé bien au-delà de la région. La municipalité propose en effet, dans des conditions douteuses, de signer un bail de 75 ans avec un groupe hôtelier qui en aurait l’usage exclusif, au détriment des utilisateurs actuels qui en partageaient de manière conviviale et populaire les agréments. Les Briacins protestent tant sur la forme (la brutalité et l'absence de transparence de cette décision) que sur le fond de cette affaire, qui modifie complètement la destination collective du lieu.
Là encore, les ACR veulent rester vigilants afin de s'assurer que la contrainte de la servitude de passage sera bien respectée dans une opération qui est principalement destinée à rendre privatif un usage qui a longtemps été public.
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