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Un chemin semé d'embûches...

… ou les tribulations d'un randonneur sur la Côte d’Emeraude

Contrairement à une idée fort communément répandue, le droit de tout citoyen de se promener librement le long de notre bonne côte d’Émeraude n'est pas le fruit d'une tradition millénaire, voire immémoriale, mais plus prosaïquement le résultat d'une lutte sans merci qui commença à opposer dans les années 60 un petit groupe d'amis aux puissances dominantes de l'époque, celles qui faisaient la loi sur le littoral. Menés par un intrépide aventurier épris de liberté et amoureux du bord de Rance, ils s'attaquèrent aux « Frères de la Côte » d'alors, et en premier lieu à leur protecteur patenté. Il s'agissait en l’occurrence du représentant du Souverain, le Préfet d'Ille-et-Vilaine lui-même, qui ne pouvait concevoir qu'un simple justiciable puisse librement accéder au bord du rivage quand tant d'intérêts importants étaient en jeu. À la surprise générale, la suite lui montra que si et par la même occasion nos amis jetèrent les fondements de l'Association des Amis des Chemins de Ronde de Bretagne. Mais l'Histoire ne faisait que commencer, et le chemin devait être encore bien long et semé de nombreuses embûches.

Le maire visionnaire et le Préfet

Toute l'affaire commença dans une petite commune du bord de Rance…

David contre Goliath à La Richardais

C'est en cette mémorable journée d'août 1965 que Maître Pierre Langlais, avocat à la Cour d'Appel de Rennes et accessoirement premier magistrat à La Richardais, engagea avec le soutien de son conseil municipal un recours en justice contre trois arrêtés du Préfet concédant le domaine public maritime à des propriétaires privés, ainsi que deux arrêtés du maire de Pleurtuit qui autorisaient des permis de construire sur une parcelle inconstructible en bordure de rivage. Stupeur et tremblement ! Contre toute attente, la justice donna entièrement raison à la petite ville côtière. Les cieux avaient accouché de cinq jugements favorables.

La longue lutte avec l’État et la naissance des ACR

Toutefois, le Préfet ne voulut rien entendre et s’efforça d’imposer aux élus de la commune les concessions d’endigage du domaine public maritime dont ils ne voulaient pas. Ces derniers ripostèrent à leur tour. En juin 1967, une réunion d'élus, sénateurs, conseillers généraux et de tous les maires des deux rives de la Rance, se tint à la mairie de La Richardais. Tous approuvèrent à l’unanimité la fondation de l’association des « Amis des Chemins de Ronde » (ACR) qui allait défendre le libre accès à la mer du vulgum pecus.

Dans les jours qui suivirent, le préfet prit un nouvel arrêté en faveur d’un propriétaire qui avait créé une plage privée à La Richardais. Pierre Langlais démissionna alors de ses fonctions municipales, et, à travers la nouvelle Association mit le préfet en demeure de dresser une « contravention de grande voirie » pour cette usurpation du Domaine public maritime. Le Préfet refusa évidemment et l’ex-maire le poursuivit encore en justice…

La conclusion se fit un peu tarder mais quelques années plus tard, en juin 1976, le Tribunal Administratif de Rennes annula le refus du représentant de l'État de dresser procès-verbal de grande voirie, et le Préfet fut ainsi condamné.

La loi de 1976 et la jurisprudence du Conseil d'État.

Les esprits citoyens s'étaient donc libérés et préparés à étendre leur victoire à toutes les côtes françaises. Le 31 décembre 1976 fut alors votée la loi fondatrice de la SPPL (Servitude de Passage des Piétons le long du Littoral) qui permettait le libre accès des citoyens au littoral en dépit des intérêts particuliers et de leurs soutiens locaux ou nationaux.

Enfin, après 14 ans de lutte, le Conseil d’État confirma le 23 février 1979 le jugement du Tribunal de Rennes et précisa que « les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues de veiller à l’utilisation normale des rivages de la mer et d’exercer, à cet effet, les pouvoirs qu’elles tiennent de la législation en vigueur, et qu'elles ne sauraient s’y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative. » La nouvelle jurisprudence rejetait ainsi tout pouvoir discrétionnaire de l'Administration en la matière puisqu'elle ne pouvait plus ensuite refuser d’engager des poursuites contre une usurpation du rivage, et cette affaire devint un cas d'école enseigné en Faculté.

Quelques années plus tard, le 3 janvier 1986, était votée la fameuse « Loi littorale » dont l’objet était toutefois plus vaste que la simple SPPL, puisqu'il visait à réglementer et harmoniser les politiques publiques à l'égard de l'ensemble du littoral.

 

La longue marche de Saint-Briac

Un second combat, encore plus long et riche en péripéties que le premier, allait bientôt mobiliser les ACR dans ce joyau du littoral breton.

Une première tentative avortée au début des années 80

Dès 1969, la commune de Saint-Briac-sur-Mer commença à ouvrir un chemin de ronde, suivant en cela l'exemple de La Richardais, mais ce n'était qu'un projet destiné à créer un libre accès à la mer. Il fallut donc attendre mai 1982 pour qu'une procédure officielle d'ouverture de SPPL soit engagée et qu'un premier tracé fût ainsi défini pour la commune par arrêté préfectoral.

Néanmoins, quelques propriétaires installés sur le rivage décidèrent d'attaquer cet arrêté devant le tribunal administratif ; cet arrêté fut annulé pour un simple vice de forme.

Chemin côtier

Vingt ans de pause avant la relance du dossier et le renouveau de l'ACR

Ce projet resta donc dans les cartons pendant près de 20 ans, alors même que pendant cette période, la commune était administrée par un maire qui avait exercé les fonctions de ministre de l'écologie… Malgré le décès de Pierre Langlais en 2007, ses collègues et amis décidèrent de poursuivre son action, et poussèrent en 2008 la municipalité de Saint-Briac à délibérer de nouveau sur le sujet et à demander au préfet de revoir sa position.

Mais ce n'est qu'en juin 2009, à la suite d'une grande manifestation organisée par l'association des Amis des Chemins de Ronde, qui venait alors d'élargir son influence à l'ensemble de la Bretagne, que la municipalité relança véritablement le projet en votant une résolution favorable à la mise en œuvre de la SPPL dans la commune.

En 2014, les ACR35 ont choisi un ancien magistrat judiciaire demeurant à St Briac, Patrice Petitjean, comme Président ; celui-ci est secondé par un Secrétaire Général motivé et efficace, Patrice Bauché.

 

Les premiers pas vers la victoire, en dépit de quelques recours…

Après de nombreuse démarches, le préfet d'Ille-et-Vilaine ordonna au printemps 2014, une enquête publique sur un projet de tracé élaboré par l'administration, où l'on put recueillir les avis de tous ceux qui souhaitaient s'exprimer sur le sujet. Les ACR et leurs adhérents contribuèrent largement au succès de cette opération qui devrait permettre à terme de lever les blocages liés à l'intransigeance de certains riverains. Le nouveau tracé n'est pas parfait, et ne permet notamment pas d'accéder à certains sites remarquables comme la pointe de la Haie, mais il constitue une avancée significative. Malgré l'hostilité déclarée de certains opposants irréductibles à ce projet, la commissaire enquêtrice a émis un avis favorable au tracé proposé.

Le conseil municipal, saisi par le préfet s'est prononcé sur ce projet le 9 décembre 2014, et le 4 février 2015 le Préfet d'Ille-et-Vilaine approuva finalement par arrêté le tracé de la servitude de passage le long du littoral sur le territoire de Saint-Briac. On vient d'apprendre que de nombreux propriétaires de villa situées le long du littoral avaient engagé un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté ; la mise en œuvre des travaux de réalisation du sentier risque donc d'attendre encore longtemps…

Aujourd’hui, Saint-Briac-sur-Mer reste paradoxalement la seule commune du littoral 35 où la SPPL n'est pas respectée.
 

Les grands dossiers actuels

Après 50 ans de combats pour faire prévaloir l'intérêt général, la situation globale du sentier littoral tout le long des côtes d'Ille-et-Vilaine apparaît plutôt encourageante. Les deux premières communes ont servi de modèles pour la mise en place d'une réglementation citoyenne efficace, même si son application dans le cas de la seconde reste encore un peu fragile. Aujourd'hui, ce ne sont plus les préfets qui constituent la principale opposition mais de puissants propriétaires qui savent utiliser les ressources du contentieux juridique contre la Loi. Les arrêtés préfectoraux fixant le tracé de la SPPL mériteraient sans doute d'être révisés, mais ce sont les derniers points de rupture actuels du sentier qui constituent les principaux dossiers sur lesquels travaillent aujourd'hui les ACR. Heureusement, certains sont déjà réglés et d'autres sont en voie de trouver une solution.

 

La rénovation du sentier à Saint Lunaire

Le sentier à Saint Lunaire posait surtout un problème d'entretien ou de réhabilitation, en particulier entre la Fosse aux Vaults et la Fourberie. À cette fin, les ACR ont adressé en novembre 2014 une lettre au Conseil Général en vue de le restaurer. Fin janvier 2015, les travaux de remise en état avaient été effectués.

 

La continuité du sentier à Quelmer La Passagère

La servitude de passage avait été ouverte en 1985 à Quelmer La Passagère, mais le chemin était resté fermé en un endroit clos par une porte et des branchages. La SPPL n’était donc pas de fait respectée, et l'administration ne voulait pas entamer de contentieux.

Forts de leurs succès, les ACR décidèrent fin 2014 de rouvrir le dossier. Le Sous-préfet et le Maire de Saint-Malo confirmèrent alors leur volonté d’assurer la continuité du sentier à Quelmer La Passagère. L'ensemble des riverains fut également rencontré et un projet de cheminement sur ce secteur fut présenté par la DDTM (Commission départementale de la nature des paysages et des sites), qui émit un avis favorable en novembre 2014. Enfin, le propriétaire riverain concerné reçut l'accord de l'administration pour effectuer les travaux de percement du mur de sa propriété nécessités pour permettre le passage du chemin de ronde. Ce sentier pourrait ouvrir à bref délai.

 

La jonction entre le parc de la Briantais et celui des Corbières à Saint Servan

Cette question délicate est également en voie d'être réglée. Dans le cadre de la jonction entre le parc de la Briantais et celui des Corbières à Saint-Servan, une procédure de contrainte a été engagée par l’État contre les copropriétaires de l'immeuble « l'Artimon » qui étaient farouchement hostiles à l'idée de laisser passer le sentier de servitude sur leur terrain. Bien que la ville de Saint-Malo maîtrise désormais l'ensemble du foncier, le dossier restait difficile. Une intervention de l'administration, appuyée par les forces de l'ordre a permis de débloquer la situation au printemps dernier ; nous avons maintenant l'assurance que les travaux sont en cours. Si tout se passe comme prévu, cette portion du sentier littoral pourrait être ouverte avant la fin de l'année 2015.

 

Situation épineuse à Rothéneuf, à proximité du Bénétin

Afin d'assurer la servitude de passage à Rothéneuf à proximité du restaurant « Le Bénétin », à l'extrémité du chemin des Rochers Sculptés, la ville de Saint-Malo avait acquis à titre gratuit une bande de terrain en 2009. A cette occasion, un contrat fut passé entre la ville et la SCI « Les Rochers Bleus » (entre Messieurs Couanau et Beaumanoir). Toutefois, la situation était particulièrement complexe car le cheminement n’était pas au plus près du littoral, et ne permettait notamment pas de contourner les parcelles occupées par le restaurant.

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Depuis lors, la ville de Saint-Malo n'a toujours pas procédé à l'aménagement du sentier sur les parcelles cédées par la SCI Les Rochers Bleus, alors que cette opération apparaissait comme une contrepartie de l'autorisation de reconstruire accordée au propriétaire du restaurant implanté en zone littorale. Aujourd'hui, le Bénétin a été reconstruit et fait désormais l'objet d'une exploitation commerciale. À partir d'octobre 2014, l’Association échangea plusieurs courriers avec la ville de Saint-Malo à ce sujet et lui signifia que l'aménagement du  sentier était devenu une priorité compte tenu du temps écoulé et de la difficulté de rejoindre le littoral dans ce secteur, du fait notamment du caractère désormais obsolète de l'arrêté préfectoral de juin 1982, dont le tracé de la SPPL rejetait le sentier très à l'intérieur des terres et obligeait à emprunter des voies goudronnées ouvertes à la circulation automobile.

En décembre 2014, la mairie précisa qu'en l'absence de servitude légale elle avait recherché une solution amiable avec les deux propriétaires concernés (d'un côté concession d'une servitude de passage amiable, et de l'autre convention signée avec M. Beaumanoir assortie de travaux de clôture à la charge de la ville et du département). Cette situation est insatisfaisante et les ACR vont saisir le préfet à l'automne pour lui demander d'engager la procédure de révision du tracé de la SPPL afin d'assurer un passage le long du littoral conformément à la Loi.

 

Le projet de base de jet-ski à Solidor

Au printemps 2015, la presse officielle se fit l'écho d'un projet d'installation d'une base de formation à la conduite des jet-skis à Saint-Malo au port de Solidor, projet qui aurait reçu l’agrément de la DTTM au mépris des pratiques démocratiques les plus élémentaires, et qui souleva un tollé de protestations dans la région (voir à ce sujet l'article du Malotru).

Compte tenu de la procédure de SPPL en cours sur la jonction entre le parc de la Briantais et celui des Corbières, et du démarrage annoncé des travaux, les ACR35 ont publié un communiqué de protestation le 5 juin 2015, où il a été affirmé leur détermination de s’opposer par tous les moyens légaux à un projet purement commercial et particulièrement polluant.

À l'heure actuelle, la situation est incertaine et l'on ne sait toujours pas si une telle opération portée par un particulier pourra recevoir une autorisation administrative.

 

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